Observatoire de l’Aide Sociale et de l’Insertion

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La Cour des Comptes apporte sa pierre à l’édifice d la critique

lundi 1er juin 2015

Nous reproduisons in extenso cet article de Cornelia Hummel, paru dans SolidaritéS.

"Le 28 avril 2015, la Cour des Comptes a rendu un rapport circonstancié sur la politique publique de réinsertion professionnelle des chômeurs en fin de droits, afin d’évaluer l’effet de la profonde réorientation de la politique en matière de chômage depuis 2008.

Pour le magistrat de l’époque, F. Longchamp, il s’agissait de soumettre la politique du chômage à une « révolution copernicienne », en appliquant une politique dite d’activation, le retour en emploi étant la priorité. Les Emplois Temporaires Cantonaux ont été supprimés, notamment parce que ceux-ci réouvraient des droits au chômage – principe incompatible avec le nouveau mot d’ordre « sortez ! ».

Mais on le sait, sortir les gens du système du chômage affecte certes les statistiques du chômage (taux, durée moyenne, etc.), mais ne résout en rien la situation de non-emploi et de précarité. La révision de la Loi en matière de chômage (LMC) a provoqué un report massif du chômage vers l’aide sociale, cette dernière se durcissant elle-même avec la révision de la Loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (LIASI) en 2012 et la suppression du Revenu minimum cantonale d’aide sociale (RMCAS).

Les grévistes de Partage avaient raison
Les données enfin disponibles sur les Emplois de solidarités (EdS) montrent à quel point le « tremplin vers l’emploi » claironné par le magistrat inventeur de cette mesure était fallacieux : la majorité des personnes en EdS restent bloquées dans le dispositif, en touchant un salaire calé pratiquement sur le seuil de pauvreté, sans bénéficier ni d’un suivi de la part de l’OCE, ni d’un encadrement adapté au sein de l’organisation employeuse, et encore moins d’une formation qualifiante.

Les EdS sont prisonniers du dispositif, phénomène qui porte le nom évocateur de lock-in dans les recherches scientifiques sur les politiques d’activation. Pour celles et ceux qui sortent du dispositif, le départ est dû dans la moitié des cas à un licenciement (« pour inadéquation », « pour raison de santé », « pour faute ») ! Si on ajoute à ces licenciements les démissions (« pour raison de santé », « sans motif ») et les départ à la retraite il reste… 14 % de personnes qui sont retournées sur le dit marché ordinaire de l’emploi depuis 2008. Pour le dire autrement, 86 % des personnes ayant signé un contrat d’EdS sont enfermées dans une mesure de « retour vers l’emploi », avec pour seul horizon le licenciement, la démission ou la retraite.

Le retour en emploi…instable et mal payé
Le rapport de la Cour des Comptes est complété par un rapport statistique réalisé par l’Institut d’études démographiques et du parcours de vie de l’Université de Genève. Celui-ci analyse les trajectoires de 22 000 individus après leur arrivée en fin de droits. Cette analyse permet d’éclairer un des chiffres dont les magistrats sont friands : le taux de retour en emploi après le chômage. Si effectivement, sur la période étudiée, le taux de retour en emploi s’est légèrement accru, deux éléments mettent à mal tant le contenu de ce retour que l’attribution de cette augmentation à un succès de la politique en matière de chômage.

Tout d’abord, le rapport souligne que le profil des personnes arrivant en fin de droits se modifie : elles sont plus jeunes, mieux formées (augmentation des porteurs de diplômes de niveau tertiaire) et avaient auparavant des postes plus élevés dans la hiérarchie des professions (augmentation moyenne du gain assuré). D’une part ces personnes retrouvent plus facilement du travail de par leur profil, et, d’autre part, elles tirent profit de mesures telles que les Allocation de retour en emploi (ARE) qui sont attribuées de façon sélective (attribution à celles et ceux qui ont les meilleures chances de retrouver un emploi). Une partie des retours en emploi est donc expliqué par les changements intervenus au sein de la population des chômeurs de fin de droits (amélioration des profils) et se prolonge par un effet de sélectivité des mesures attribuées. Deuxièmement, l’analyse « met en évidence la très forte instabilité des emplois retrouvés par les chômeurs de fin de droit. On observe une grande proportion d’emplois de très courte durée. Cette instabilité se double de bas revenus » (rapport CdC, p. 71).

Globalement, les revenus mensuels des chômeurs de fin de droit se sont détériorés au cours de la période étudiée, avec une forte augmentation des emplois payés moins de 2 500 francs par mois. Cette évolution s’accélère au cours du temps et, parmis les arrivants récents en fin de <droits, on note une hausse du nombre de personnes gagnant entre 500 et 2 500 francs par mois, tout comme une augmentation des personnes en emploi mais faisant recours à des prestations sociales. Dans un vocabulaire moins prudent, on peut affirmer que la politique actuelle de chômage est synonyme d’augmentation du taux de working poor à Genève.

La droite, fossoyeuse du budget alloué à la lutte contre chômage
Le point le plus choquant du rapport de la Cour des Comptes concerne l’incroyable baisse des fonds alloués à la lutte contre le chômage à Genève. Avant d’en donner l’étendue, souvenons-nous des douces promesses faites à l’époque par les promoteurs de la LMC. Le rapport de la commission chargée d’étudier le projet de révision de la LMC contient ainsi l’affirmation suivante : « Les 100 millions de francs actuellement consacrés aux mesures cantonales de lutte contre le chômage seront intégralement réaffectés à cet objectif » (PL 9922-A : 8).

Dans les faits, ce budget est passé de 90 millions en 2008 à 48 millions en 2013 ! Le budget a baissé régulièrement au cours du temps – non pas parce que les coupes sont intervenues en amont, mais par ajustement sur la base des comptes, autrement dit par ajustement sur le non-dépensé. L’évolution budget/comptes montrent que chaque année, depuis 2008, le département ne dépensait pas le budget qui lui était aloué (par exemple pour 2010 : 77,5 millions de budget et 50,4 millions de dépensé). Quelle ingénieuse façon de faire diminuer le budget ! C’est ainsi que le taux de personnes ayant accès à des mesures est passé de 50 % en 2008 à 15 %. Les mensonges sur les fonds aloués sont également de mise dans le contexte de la LIASI : lors des débats sur le projet de loi sur l’aide sociale (LIASI), le département avait indiqué que la réforme allait induire un effort financier supplémentaire de 6 millions la première année et 18 millions par an ensuite (PL 10599-A), les dépenses sont inférieures à ces prévisions avec 2 millions en 2012, 6,2 millions en 2013 et 9,5 millions en 2014.

Il est temps de mettre fin à la « révolution copernicienne » !
Pourquoi paraphraser les conclusions du rapport ? Laissons les dernières lignes parler seules : « Les objectifs de la loi concernent en théorie toutes les personnes recherchant un emploi. Dans les faits, les mesures prévues par la LMC et la LIASI ne concernent qu’un peu plus d’un chômeur en fin de droits sur cinq (15 % pour les mesures prévues par LMC et 6 % pour les prestations d’insertion professionnelle prévues par la LIASI). […] Au vu de ces éléments, il apparaît que les réformes de la politique cantonale ont permis de limiter les réinscriptions au chômage mais ont accru le recours aux prestations sous conditions de ressources de l’Hospice général. Elles ont également contribué à accroître le nombre de personnes sans revenu et sans mesure » (rapport CdC, p.160).
Le rapport de la Cour des comptes ne fait que confirmer le bilan socialement néfaste du tandem législatif LMC-LIASI qui a déjà été mis en lumière par le rapport Evaluanda portant sur le dispositif d’insertion professionnelle de la LIASI (2014) ainsi que les deux rapports de l’Observatoire de l’aide sociale et de l’insertion (OASI, 2014 et 2015). Le rapport confirme également la critique sévère qui avait été faite du programme des Emplois de solidarités à l’époque de la grève des employés de Partage (2013), tout comme le diagnostic établi par le groupe de travail CGAS-Alternative sur l’ensemble de la politique de chômage et qui a donné lieu au dépôt du Projet de « Loi en matière de chômage et d’emploi » (PL11501) toujours pendant au Grand Conseil."

Cornelia Hummel