Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Art. 37 Droit de grève

vendredi 12 avril 2019 par Claude REYMOND

extrait du rapport concernant

Art. 37 Droit de grève

1. Le droit de grève et le droit de mise à pied collective sont garantis s’ils se rapportent aux relations de travail et sont conformes aux obligations de préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation.

2. La loi peut interdire le recours à la grève à certaines catégories de personnes ou limiter son emploi afin d’assurer un service minimum.


1. Contexte et évolution

La précédente Constitution ne contenait aucune disposition quant au droit de grève, se contentant des dispositions fédérales existantes.

Syndicom a cependant mené campagne contre la Constitution de 2012 estimant que le texte ne répondait pas aux nécessités exprimées par les travailleurs et travailleuses du canton. Elle a dénoncé l’absence de dialogue social qui a marqué les travaux de la constituante et la non-considération de ses demandes. Elle estime que les quelques avancées enregistrées ne pallient pas aux trop nombreuses faiblesses du texte.

Les dispositions du droit de grève ont été jugées floues et trop similaires aux dispositions fédérales, qui sont en retrait des conventions internationales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT)50, et clairement liées à la paix du travail.

En effet, la notion de « paix du travail », peu utilisée à l’étranger, est un élément important de l’identité suisse. Cette vision idyllique de rapports non conflictuels entre salarié·e·s, employeur·euse·s et partenaires sociaux se reflète directement dans le cadre juridique suisse, où une cessation collective du travail de la part des employé·e·s afin d’améliorer leurs conditions de travail représente un droit fortement limité par le législateur. Il n’est d’ailleurs pas anodin d’entendre des personnes se questionner sur le fait de la légalité en elle-même d’une grève en Suisse, notamment actuellement, au cours des préparatifs de la grève féministe du 14 juin2019.

Le principe de la paix du travail, inscrit dans les conventions collectives que les syndicats signent avec les employeu·euse·s, n’a de valeur que par l’engagement syndical à renoncer à l’usage du droit de grève en échange de garanties obtenues par la négociation. Le droit de grève se retrouve ainsi directement lié à la définition des conditions de travail qui seront appliquées aux employé·e·s.

Cet état des choses, légitimé par les institutions, oblige de facto les salarié·e·s à renoncer à l’instrument de lutte le plus performant pour peser sur le résultat d’une négociation visant à établir leurs conditions de travail, en raison de la crainte de perdre leur emploi.

Pourtant, le droit de grève est, d’après toutes les jurisprudences, un moyen légal, un droit fondamental garanti par la constitution et l’arme de dernier recours des travailleur·euse·s pour lutter ensemble pour améliorer leurs conditions de travail et contre les plans d’austérité et les politiques patronales de précarisation de l’emploi et de déréglementation.

Evolution(s) positive(s) :
L’introduction d’un article consacrant le droit de grève dans la Constitution est un progrès même s’il est formulé de manière insuffisante.

Evolution(s) négative(s) :
Lors des travaux de la Constituante, les syndicats avaient demandé une affirmation de principe du droit de grève sans ajout de conditions particulières. Dans la version finale du texte la référence à la paix du travail, qui limite le droit de grève, a été maintenue. De plus, l’alinéa 1 exclut l’organisation d’une grève politique (qui ne se rapporte pas uniquement aux relations de travail), contrairement à ce qui est la règle dans la plupart des pays ayant un système de démocratie représentative.

Concernant l’alinéa 2, syndicom, avec la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS), avait demandé de préciser quelles sont les catégories de personnes ou d’entreprises concernées par le « service minimum ». Malheureusement tel n’a pas été le cas. La définition de service minimum est un objet de confrontation et de rapport de force partout en Europe. Le droit de grève étant un droit fondamental reconnu même s’il en vient à incommoder les usager·e·s. Selon les syndicats, seuls les services publics qui assurent à la collectivité ce qui est essentiel à la vie humaine, à la sécurité de la population et de l’Etat nécessitent un service minimum. Les transports, les écoles, l’administration et même certains services de santé n’en font à l’évidence pas partie.

Cette disposition a d’ores et déjà posé problème, notamment lors de la grève des salarié·e·s des services publics en janvier 2015. Afin de limiter la participation à la grève, des projets de loi visant à imposer l’obligation d’un service minimum dans tous les services publics y compris dans les transports publics ont été déposés auprès du Grand Conseil. Ces projets comportent une définition du service minimum pléthorique qui excède parfois l’effectif normal. En édictant des services minimums tellement maximums qu’ils en viennent à empêcher la possibilité de grève et à vider de son sens le droit fondamental de faire grève, les syndicats dénoncent une volonté manifeste de réduire le droit de grève à Genève de la part de du patronat genevois. Ils vont par ailleurs à l’encontre de l’interprétation du Conseil d’Etat qui interprète le service minimum dans le sens de services vitaux.

Comme le montre une étude de l’Université de Saint-Gall parue en mai 201251, les interdictions de faire grève non spécifiques, générales et qui violent donc des droits fondamentaux, appliquées au personnel des services publics, ou parapublics (administration publique, service public, transports publics, etc.) ne résistent pas à une analyse juridique approfondie. Tout droit cantonal qui, par exemple, interdit sans autre à certaines catégories de salarié·e·s de faire grève, de manière générale ou en définissant de manière bien trop large la notion de service minimum, est contraire à la législation fédérale et au droit international.

2. Violation(s)

L’OIT a reconnu que le droit suisse est insuffisant en matière de protection des droits syndicaux, notamment qu’elle n’en fait pas assez pour protéger contre le licenciement les personnes qui font usage de leur droit de grève. En effet, l’employeur·euse qui licencie une personne qui a fait usage de son droit de grève ne risque pas grand-chose, la loi ne prévoyant au mieux que le paiement d’une indemnité pour licenciement abusif. De plus, si on saisit le juge pour empêcher un licenciement annoncé avant que celui-ci n’entre en force, celui-ci répond qu’un tel licenciement est bien illégal, mais toutefois possible et qu’on ne peut donc pas l’interdire.

Parmi les cas recensés :
On se rappellera que les syndicats ont dénoncé des menaces de licenciement pour empêcher les policier·e·s de se rendre à des assemblées syndicales en vue de la grève des services publics du 29 janvier 2015. Mais on sait aussi que des grévistes et secrétaires syndicaux·ales ont été mis à l’amende et condamné·e·s pour ne pas avoir respecté le principe de la proportionnalité comme condition d’une grève licite. Or, une telle condition n’est pas prévue par la Constitution. De facto, cette condition réduit le droit de grève à un acte nécessitant une autorisation juridique.

En janvier 2019, le droit à la grève des nettoyeuses de l’Union Bancaire Privée (UBP) licenciées par la société d’entretien Orgapropre (à laquelle cette banque avait confié mandat de nettoyage de ses locaux) a été violé. En effet, les cadres de la société Orgapropre et le service de sécurité de l’UBP ont tout fait pour casser la grève et empêcher la tenue des piquets de grève. Certains syndicalistes ont été violenté·e·s de manière plus ou moins brutale et l’un d’eux a été tiré de force et séquestré quelques minutes dans les locaux de la banque.

Plus grave encore, la police genevoise a également agi de manière à faire obstacle à l’exercice du droit de grève. Elle a octroyé une autorisation de manifester, mais pas devant les locaux de la banque, ce qui enlève tout sens à un piquet de grève.

Les forces de l’ordre ont également menacé de faire des contrôles d’identités systématiques et sont intervenues de manière préventive et menaçante directement à la sortie du syndicat SIT qui organisait une réunion de coordination pour les nettoyeuses en grève.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Par le passé, lorsque les décisions d’un·e employeur·euse étaient considérées par les travailleur·euse·s et leurs organisations syndicales comme contraires à l’usage et que le premier s’obstinait à ne pas vouloir en discuter avec les seconds, ces dernier·e·s pouvaient recourir à la grève. Et la constitution d’un collectif de grévistes était le signal d’une situation conflictuelle reconnu par toutes et tous.

L’activité syndicale conforme au droit de plusieurs adhérent·e·s de syndicom et le recours à l’occupation des locaux d’entreprises ont révélé dans le passé que les forces de l’ordre genevoises s’abstenaient d’effectuer une évacuation par la force tant que l’employeur·euse n’avait pas démontré une volonté de négocier.

Lorsque la situation conflictuelle exigeait que les grévistes, leurs syndicats et leurs allié·e·s, manifestent sur le domaine privé et propriété de l’employeur·euse récalcitrant, les forces de l’ordre genevoises s’efforçaient de garantir à proximité la libre circulation des personnes et des véhicules – tout en protégeant la manifestation contre des mouvements inopportuns de ces derniers.

Lorsque les grévistes s’avisaient – depuis le domaine public proche de leur lieu de travail – de distribuer des tracts aux passant·e·s, d’échanger avec des fournisseur·euse·s ou des client·e·s, les forces de l’ordre genevoises veillaient simplement à ce que la courtoisie et la moralité prévalent.

On savait alors distinguer l’exercice des droits syndicaux à l’encontre de la gouvernance d’une entreprise particulière – avec des piquets grève par exemple – de l’exercice général des libertés d’expression et de manifestation.

A cette époque pas si lointaine, le gouvernement qui faisait face à un conflit de travail prenait visiblement en compte les deux catégories de droits concernés. D’une part, le droit de propriété de l’employeur avec sa libre faculté de recruter des salarié·e·s en dehors des grévistes, ainsi que le droit de travailler des employé·e·s qui ne pas voulaient se solidariser avec la grève ; et d’autre part, les droits syndicaux avec notamment celui pour les grévistes de persuader les réfractaires à leur action.

Les précautions ordonnées à la police visaient donc principalement à maintenir l’ordre public : éviter des affrontements tout en n’intervenant pas dans le cours du conflit lui-même les parties étant supposées suffisamment intelligentes et responsables pour dégager une solution et renouer la collaboration

3. Recommandations

  • Affirmer le principe du droit de grève sans ajout de conditions particulières.
  • Négocier avec les partenaires sociaux pour définir quelles sont les catégories de personnes ou d’entreprises concernées par le « service minimum » considéré comme services vitaux.
  • Améliorer la protection des personnes licenciées pour avoir fait usage de leur droit de grève et garantir leur réintégration.
  • Compléter l’art. 2 de Loi sur les manifestations sur le domaine public (LMDPu) F 3 10 « On entend par manifestation au sens de la présente loi tout rassemblement, cortège, défilé ou autre réunion sur le domaine public » par « , sont réservés l’usage des droits syndicaux en cas de conflit de travail. »
  • Lorsqu’un conflit de travail surgit, le gouvernement devrait diligenter sur le terrain un huissier-médiateur pour a) constater la nature du différend entre les parties, b) relever leurs préconisations pour résoudre les conflits, c) rappeler les voies de règlement de conflits collectifs. Si l’employeu·euser persiste à se soustraire à la raison, le juge dûment informé par le gouvernement devrait pouvoir ordonner des mesures super-provisionnelles, comme une neutralisation de l’entreprise avec mise sous scellés des lieux de travail et un verrouillage des droits patrimoniaux de l’ensemble de ses salarié·e·s pour une période de 7 jours, renouvelable. Cette mesure extraordinaire pourrait être levée dès que l’employeur aura admis un possible arbitrage et que celui-ci serait engagé.

Finalement, syndicom considère qu’un exécutif qui ne fondrait sa résolution à engager les forces de l’ordre de manière coercitive qu’à partir de ce que rapportent les médias sur un conflit de travail et sans avoir investigué lui-même, ou imparti à une autorité tierce de le faire, doit être considéré comme défaillant. Et si, par ailleurs, ses actes ou leur défaut menacent la paix civile, le Parlement devrait se saisir de la carence gouvernementale et du conflit particulier pour légiférer sans retard de manière appropriée.



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