Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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essai à propos des prud’hommes

lundi 26 mai 2008 par Claude REYMOND

Depuis le printemps 2008, l’intervention des représentant-e-s de plusieurs institutions a contraint les parlementaires fédéraux à reconsidérer leurs projets ; mais rien n’étant vraiment acquis (25-05-2008), le secrétaire de la Communauté genevoise d’action syndicale souhaite contribuer au débat de façon à ce que le Législateur intègre dans la juridiction du travail suisse la reconnaissance des compétences des représentants des travailleuses et des travailleurs, des employeuses et des employeurs.


La révision du Code civil sera-t-elle l’occasion de supprimer le « bon droit » dit par les pairs de celles et ceux qui sont impliqués dans un rapport de travail ?

En automne 2007, la commission des affaires juridiques du Conseil national traitait du nouveau code de procédure civile unifié.

Elle prévoyait d’introduire un monopole absolu pour les avocats et agents d’affaire à l’exclusion de tout autre personne, comme les syndicalistes ou les représentants des employeurs.

En effet, dans certains cantons et jusqu’à ce jour, ces derniers ont le droit de représenter et de soutenir directement leurs membres devant les tribunaux de prud’hommes ; et c’est bien naturel puisque ces mandataires qualifiés connaissent souvent mieux que quiconque, soit le dossier particulier, soit les subtilités du droit du travail - lequel repose sur des conventions collectives ou des usages élaborés par les organisations dont ils sont issus.

Depuis, il semble qu’on ait pu convaincre en plus haut lieu de l’inopportunité de cette modification. Pourtant, rien n’est « dans la poche »….

Un peu d’histoire

Il faut rappeler que la mise en place des prud’hommes a coïncidé avec les démontages de fortifications des cités européennes – ces deux mesures satisfaisant à deux exigences de la modernité. Autant l’aménagement urbain - qui fut le prétexte pour détruire les symboles de la servitude, de la féodalité et du vote censitaire - que la reconnaissance du travailleur dans sa qualité de citoyen, et sa faculté d’être le juge des conflits résultant des rapports de production et d’exploitation, consacraient le passage à la République et ses institutions.

S’agissant de statuer sur les divergences d’intérêt résultant de l’opposition du Capital et du Travail, au temps des métiers et des corporations furent érigées des Chambres d’explication. Ces lieux mixtes, observés dès le XVe siècle, attestaient déjà de la nécessité d’interférer sur l’inégalité de fait pour que celle-ci ne fasse pas seule autorité. On connaît des conflits entre maîtres et compagnons d’un même métier qui aboutirent à la conclusion de tarifs de référence dans une ville ou une région donnée.

Puis vinrent les grandes manufactures et les fabriques pour obtenir une plus grande productivité avec l’organisation plus efficace de la division du travail. Ce faisant on réussit à enlever aux ouvriers pour le transmettre aux patrons le contrôle du processus de production. Par la discipline et la surveillance, on a pu réduire les coûts, et restreindre la capacité de l’ouvrier à négocier la mise à disposition de son temps de travail comme de sa propre organisation pour l’entreprendre.

Avec la formalisation du contrat de travail, le travailleur doit céder contre rémunération l’entier du produit de son action. Il passa du statut de personne à celui d’objet marchand vecteur de la force de travail.

Mais la révolution est à la porte, exigeant la fin de la société inégalitaire. Pour avoir obéissance, le pouvoir de l’exiger doit être légitimé et cela suppose une égalité entre celui qui commande et celui qui est commandé.

La démocratie moderne permet à l’Etat de s’organiser en conséquence, et l’on verra rapidement celui-ci distinguer entre ses actes ceux d’autorité et ceux de gestion ; ces derniers pouvant faire l’objet d’une délégation.

En consacrant la liberté contractuelle puis d’association, le droit prétendra les parties égales et leur reconnaîtra une potentialité de délégation institutionnelle.

Des partenaires sociaux

Lorsque dès 1800 sont décrétées les premières compositions prud’homales, d’emblée elles sont constituées par un nombre égal de patrons et d’ouvriers, elles doivent régler les différends individuels. On observe diverses expériences, certains types prud’homaux prévoyant par exemple un mode d’élection par croisement des voix : les prud’hommes ouvriers étant élus par le collège des employeurs et les prud’hommes patrons étant élus par le collège des salariés.

Si ces constructions juridiques ont effectivement participé à l’inscription dans le droit de la reconnaissance de la contradiction d’intérêts entre patrons et salariés, elles ne sont cependant que le moyen de tenter d’harmoniser ceux-là.

La promesse essentielle que la parité des prud’hommes nous suggère c’est qu’il y aurait un intérêt supérieur commun. Pourtant nous savons combien la définition de cet intérêt commun a été fluctuante au cours des ans, et qu’il est difficile de satisfaire au principe d’égalité et de parité qui devrait garantir cette définition. En effet, il faut obtenir l’égalité entre salariés et employeurs tout en préservant l’égalité au sein de la représentation des salariés et de celle des employeurs.

Bien que la reconnaissance légale des syndicats soit tardive, les associations patronales et ouvrières ont toujours montré qu’elles savaient se doter de mécanismes aptes à constituer des délégations et à se les faire rencontrer.

Aux affrontements « sauvages » du XIXe siècle réprimés par les armes, on vit les rapports de force des classes sociales s’exercer dans des conditions moins sanguinaires, et si les Tribunaux du travail ou autres Offices de conciliation contribuèrent à cette modification de « mœurs », c’est tant mieux.

L’Etat ayant dû reconnaître la capacité de nuisance collective des organisations d’employeurs et de travailleurs, en prenant acte de leurs compétences, il chercha à les utiliser pour contribuer à l’effort d’harmonie sociale (et parfois au service de la guerre).

En effet, toutes les pratiques des unes et des autres avaient démontré leur faculté d’agrégation des soutiens de leur « camp » ; et si ces facultés pourraient être mises à contribution en faveur de l’action gouvernementale, la légitimité de cette dernière s’en trouverait accrue.

Pour ce nouveau rôle, on les nomma partenaires sociaux. On attend d’eux qu’ils interprètent les revendications immédiates de leurs membres respectifs dans une perspective à plus long terme. Sont réputés « représentatifs » et crédibles, les partenaires sociaux qui sont ceux en mesure d’imposer à leurs membres les compromis de leurs négociations d’avec d’autres partenaires.

L’ordre juridique fut donc adapté en y introduisant la caractérisation des partenaires sociaux et celle des conventions collectives de travail, de cette manière le droit donnait acte à ces institutions de leur capacité à gérer l’ordre économique (ou tout au moins d’une partie importante de celui-ci).

Et le système fonctionna sans trop de heurt pendant 80 ans.

la financiarisation aura-t-elle le dernier mot ?

Avec la mondialisation de l’économie, où les centres de décisions sont de plus en éloignés des périphéries de production, il semble que soit arrivée la fin du compromis social dans lequel les partenaires sociaux pouvaient résorber la plus grande part des conflits du « monde » du travail. Aux problèmes de distance et de langues, s’ajoutent des facteurs culturels, et bien d’autres encore.

De plus, avec la prédominance du capital financier sur l’industriel et avec la généralisation des actes de propriétés d’exploitation anonyme, les contractions d’intérêt entre les propriétaires et les responsables d’entreprises privées s’en trouvent exacerbées : le rendement immédiat prime sur les contingences de la pérennité.

Par ailleurs, le capitalisme ayant conquis toute la planète et son exigence de profit restant insatiable, ses représentants contestent de plus en plus l’efficience des régies publiques pour en revendiquer une mise en coupe à leur avantage. Or ce canibalisme - là où il s’est réalisé - a provoqué soit des dislocations irrémédiables soit des reconstitutions de monopole privé moins performant, plus onéreux, moins sécurisé…

A ce titre, la volonté d’introduire un monopole absolu pour des avocats et agents d’affaire pour soutenir les plaintes devant les Tribunaux prud’hommes participe du processus de soumission au marché de tout ce qui ne l’est pas encore.

Pourtant les indices majeurs des effets pervers du paradigme actuel deviennent incontournables. A preuve plus récente, citons la crise qui affecte présentement une partie de la population mondiale ; laquelle n’est plus en mesure d’acheter les produits alimentaires dont elle a besoin quand bien même il y en ait pléthore !

Des voix de plus en plus nombreuses préconisent des correctifs et des instruments de régulation, les Etats sont sommés de prendre leurs responsabilités collective et planétaire pour contrer la crise.

Le pourront-ils ?

Dans ce contexte, est-ce le moment de procéder à une modification du Code civil qui en détruisent d’autres (instruments de régulation) ?

Détruire l’ancien ?

Comme jusqu’à ce jour, mais d’autant plus à cause du dysfonctionnement du système actuel, on ne peut pas porter le soupçon d’incapacité à dire le bon droit du travail sur les représentants des travailleurs ou des employeurs.

Nier leurs compétences, ou leur en interdire l’usage dans les juridictions prud’homales pour livrer ces dernières à une caste de professionnels intéressés, ne pourra engendrer que de nouvelles ruptures de légitimé - lesquelles sont toujours porteuses de violences sociales - causes et effets de nouvelles procédures...

Alors qu’il faut garantir des procès simples, rapides et non dispendieux : les représentants syndicaux ou patronaux savent transiger et liquider une affaire avant jugement, tout en préservant l’équitable ; on peut craindre que si l’on permette à des professionnels d’en vivre, qu’il faudra compter sur des « prologations »…

Par ailleurs, conférer un monopole aux avocats aurait pour conséquence d’introduire une inégalité de moyens dans cette justice puisque les salariés n’auront jamais une capacité financière égale à celles des employeurs, ou de leur personne morale, pour rémunérer l’action des « professionnels de la spécialité ».

En outre, la professionnalisation impliquerait la tenue d’audiences en journée, alors même que l’institution des Prud’hommes doit permettre aux parties de défendre elles-mêmes leur cause devant les juges qu’elles se sont choisies : cela ne peut se faire qu’après les horaires généralement dévolus à leur action économique, soit en fin de journée !

Mais il y a encore une autre conséquence particulière découlant de ce nouveau régime diurne que nul ne peut accepter : il ne conviendrait pas d’astreindre un travailleur à devoir justifier une absence auprès d’un nouvel employeur de sa convocation au tribunal pour soutenir les investigations de celui-ci sur un conflit relatif à une de ses précédentes relations contractuelles !.

Ou l’adapter pour le mieux

On connaît actuellement en Suisse bien des régimes différents en matière de prud’hommes. Certaines juridictions sont sommaires, d’autres doivent se déclarer incompétentes selon le montant revendiqué.

Le Législateur fédéral ne peut tolérer plus longtemps de telles différences qui engendrent une inégalité en matière de justice du travail, différences prévalant selon le fort juridique découlant du lieu de ratification du contrat, voire d’exécution de celui-ci.

Surtout que les récentes dispositions de l’assurance-chômage - exigeant d’un chercheur d’emploi qu’il accepte de prendre un travail dont l’occupation pourrait signifier jusqu’à 4 heures de transport par jour - montrent que la réalité économique fait la mobilité et impose la « transhumance » intercantonale aux travailleurs. Sans unification et normalisation de la justice prud’homale au niveau fédéral, les lois de ce niveau continueront à exposer les travailleurs à la discrimination d’une justice variable dans les lieux de vie parce que tributaire du seul domicile de l’employeur.

Lorsqu’il s’agit d’ériger une référence, devrait-on choisir parmi les multiples modèles le plus malingre, le plus timoré face aux nouvelles réalités économiques ? NON.

Dans le cas de la justice du travail, qui s’aviserait aujourd’hui de généraliser le remplacement d’une formation de milice indemnisée par des agents rémunérés mensuellement alors que les budgets des administrations cantonales sont exsangues ? PERSONNE.

Par ailleurs, vu l’évolution des salaires, vu l’écart croissant entre les plus petits d’avec les plus élevés, et constatant le développement dans notre pays de sièges de sociétés transnationales offrant des revenus au-delà de tout ce que l’on a connu jadis, doit-on maintenir certaines restrictions d’accès à la justice du travail au moyen de montants seuils ? AECONOMIQUE.

Dès lors, il conviendrait d’unifier les références en la matière et à l’échelle du pays de façon à

  1. maintenir les Prud’hommes, et garantir dans chaque canton la gratuité du règlement des conflits de travail ;
  2. étendre la qualité de mandataire à toute personne sachant lire et écrire, et repousser la captation sans partage par les agents d’affaire et les avocats de la faculté de soutenir des plaintes de travailleurs, de locataires ou d’assurés devant les juridictions concernées ;
  3. permettre à la justice prud’homale de traiter des contentieux avec toutes les instances requises à cet effet, à savoir
  • a) Le Greffe pour la saisine (dépôt de la demande)
  • b) La Conciliation et la Procédure en référé
  • c) Le Tribunal pour le jugement
  • d) La Chambre d’appel pour l’appel

Si l’on peut admettre que la conciliation soit entreprise par un seul professionnel, en revanche la Procédure en référé devrait requérir au moins la participation d’un juge travailleur et d’un juge employeur ; le Tribunal étant totalement laïc. La Chambre d’appel pourrait être conduite par un juge professionnel.

S’il n’existe pas encore dans le droit de notre pays, le référé constituerait une procédure particulière et utile lorsque la demande n’est pas sérieusement contestable, ou lorsqu’il s’agirait de faire cesser un trouble manifestement illicite (le licenciement d’un salarié durant l’exercice de son droit de grève par exemple). Le référé viserait à accélérer la marche de certains procès jugés prioritaires, pouvant ainsi faire l’objet d’une décision en quelques jours. Les décisions rendues par le référé prud’homal seraient par nature provisoires et ne dispenseraient pas de soumettre le fond du litige.

Claude REYMOND, première rédaction au 25-05-2008 / corrections apportées le 30-05-2008