Communauté genevoise d’action syndicale

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CONFÉRENCE DE PRESSE DU 9 JUIN 2009

Suisse : halte aux licenciements antisyndicaux

mardi 9 juin 2009 par Claude REYMOND

Vasco Pedrina, chef de la délégation des travailleurs/euses de Suisse à la Conférence internationale du Travail 2009

Dans le courant de cet après-midi, Mme la conseillère fédérale Doris Leuthard, cheffe du Département de l’Economie publique, rendra visite au directeur général du Bureau International du Travail (BIT). À cette occasion, un nouvel accord de coopération sera conclu pour marquer le 90e anniversaire de l’Organisation internationale du Travail (OIT).
Cette cérémonie nous fournit l’occasion de rappeler, par une action symbolique à l’entrée du Palais des Nations, où se déroule actuellement la Conférence internationale du Travail, et lors d’une intervention du délégué des travailleurs de notre pays, qui aura lieu cette semaine en séance plénière pendant le débat sur les réponses à la crise, qu’il est temps que la Suisse respecte les obligations qui découlent de la Convention no 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective qu’elle a ratifiée en 1999. Adopté en 1949, cet instrument fait partie des droits fondamentaux des travailleuses et travailleurs qui, considérés comme droits de l’homme, doivent être appliqués partout dans le monde, quel que soit le niveau de développement.

En 2003, estimant que la protection contre les licenciements antisyndicaux n’était pas adéquate en Suisse, l’Union syndicale suisse adressait une plainte en violation de cette convention au Comité de la liberté syndicale qui l’a jugée recevable. Approuvant les conclusions et les recommandations de cette instance, le Conseil d’administration du BIT a demandé au Conseil fédéral de prendre les mesures nécessaires pour mettre en conformité la législation suisse avec la Convention no 98.

Six ans se sont écoulés, mais le Conseil fédéral reste sourd aux injonctions des organes compétents de l’OIT et persiste dans son refus de respecter les engagements internationaux de notre pays. Ce mépris qu’il manifeste à l’égard des droits syndicaux insuffisamment protégés au niveau national contraste avec le discours permanent qui est le sien au plan international à propos des droits de l’homme !

Cette situation est d’autant plus inacceptable que, dans le contexte de la crise mondiale actuelle, qui laisse des traces de plus en plus profondes dans notre pays, un nombre croissant d’employeurs remettent en cause les règles du partenariat social et portent atteinte aux droits syndicaux en se livrant en particulier aux licenciements de nos personnes de confiance, voire de représentants du personnel.

Pour preuve ce qui s’est passé ces derniers mois :

  • En février 2009, une vendeuse a été licenciée ici à Genève, par le grand Magasin Manor, pour des motifs purement antisyndicaux. Quand bien même la « Chambre des relations collectives de travail CRTC » (= un office de conciliation) a demandé la réintégration de cette militante, la direction de Manor ne semble avoir aucune intention de faire marche arrière.
  • À la fin avril 2009, la grande fabrique de machines textiles, Karl Mayer AG (ancienne Benninger) a licencié, après 39 ans de bons et loyaux services, un militant syndicaliste monteur de profession qui, durant de très nombreuses années, a présidé la commission d’entreprise. Tout comme sa collègue de Manor, il avait fait part à un journaliste des difficultés et problèmes survenus en temps de crise dans son entreprise en restructuration !
  • Enfin, à la mi-mai 2009, dans le cadre d’un plan de restructuration de deux des plus grands journaux suisses alémanique, le « Tages-Anzeiger » et le « Bund », deux journalistes sont licenciés. Tous les deux sont présidents de leur commission d’entreprise respective...

Dans le contexte de cette dérive, il est intolérable que le Conseil fédéral s’obstine à refuser de donner la suite qui convient aux recommandations faites par les organes de l’OIT en matière de protection des droits syndicaux. Comme si le patronat disposait d’un droit de veto en démocratie, notre gouvernement se retranche derrière le refus des associations d’employeurs à vouloir entrer en matière, pour refuser d’envisager de mesures positives qui permettraient à la Suisse de respecter ses engagements internationaux. Contrairement aux conclusions du Comité de la liberté syndicale, le Conseil fédéral considère en outre qu’une indemnité pouvant aller jusqu’à la contre valeur de six mois de salaire en cas de licenciement abusif constitue un moyen suffisamment dissuasif, eu égard, notamment, aux petites et moyennes entreprises (PME). Et, pour se soustraire à sa responsabilité, il renvoie à la recherche de solutions via les conventions collectives de travail (CCT), en oubliant que la moitié des travailleuses et travailleurs n’y sont pas soumis en Suisse. Et même là où il y a des CCT, rares sont les cas où elles contiennent des dispositions protectrices en matière d’exercice des droits syndicaux.

Il est temps que nos autorités changent de cap, autrement l’USS se verra obligée – bien malgré elle – de faire mettre la Suisse au banc des accusés lors de la prochaine Conférence OIT 2010 (Comité de l’application des normes). La liberté syndicale, soit le droit de s’affilier à un syndicat et de participer à des activités syndicales, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise, fait partie – au même titre que l’interdiction du travail des enfants ou celle de l’esclavage par exemple – du noyau intangible des droits fondamentaux.

La Constitution fédérale reconnaît la liberté syndicale à son article 28. Outre les conventions no 87 et no 98 de l’OIT, la Suisse est aussi tenue de respecter le Pacte des Nations Unies relatif aux droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme, les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, textes auxquels la Suisse a souscrit et qui garantissent le droit de s’affilier à un syndicat et de participer à des activités syndicales.

Passer aux actes signifie pour la Suisse d’accepter enfin de faire figurer dans sa législation le principe du droit de réintégration des victimes de licenciements antisyndicaux.

Un tel droit existe déjà dans notre ordre juridique : l’article 10 de la Loi sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg). Cette disposition a été introduite de l’aveu même du Conseil fédéral pour éviter les congés-rétorsion. Protéger les syndicalistes contre le licenciement antisyndical poursuit le même objectif : permettre aux travailleuses et aux travailleurs d’exercer pleinement leurs droits fondamentaux, y compris sur leur lieu de travail.
Nous avons l’occasion tout à l’heure de nous adresser directement à Mme la conseillère fédérale Doris Leuthard pour lui demander, à l’occasion du 90e anniversaire de l’OIT, du 60e anniversaire de la Convention no 98 et du 10e anniversaire de sa ratification par la Suisse, d’entrer en matière sur les recommandations du Comité de la liberté syndicale et du Conseil d’administration du BIT relatives à la plainte no 2265. Mettre fin à l’hypocrisie sur le droit d’organisation et de négociation collective n’est pas faire l’aumône : c’est un dû aux travailleuses et travailleurs du pays hôte de l’OIT.