Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Conférence de presse de l’USS – Genève, le 9 juin 2009

le droit suisse doit être amélioré pour garantir une protection réelle et effective

mardi 9 juin 2009 par Claude REYMOND

Licenciements des délégués syndicaux et des représentants du personnel :

le droit suisse doit être amélioré pour garantir une protection réelle et effective

Exposé de Me Christian BRUCHEZ, avocat


L’article 28 de la Constitution fédérale garantit la liberté syndicale. Il prévoit que les travailleurs, les employeurs et leurs organisations ont le droit de se syndiquer pour la défense de leurs intérêts, de créer des associations et d’y adhérer ou non.

Sur le plan individuel, la liberté syndicale garantit à tout travailleur et à toute travailleuse le droit d’adhérer au syndicat de son choix pour défendre collectivement ses intérêts de salarié. La liberté syndicale ne se limite pas au droit d’adhérer à un syndicat, mais comprend également le droit d’exercer, dans ce but, une activité syndicale. Sur le plan collectif, la liberté syndicale garantit le droit pour les organisations syndicales d’exercer leur activité et de s’organiser librement. Elle implique aussi le droit de participer à des négociations collectives, de conclure des conventions collectives et de veiller à leur application par les entreprises.

Par ailleurs, la législation suisse prévoit que les travailleurs doivent être informés et consultés sur toutes les affaires importantes concernant leurs conditions de travail. Cette consultation des travailleurs est particulièrement importante lorsque des restructurations sont envisagées, notamment en cas de licenciements collectifs. Dans les grandes entreprises, des commissions du personnel sont souvent mises en place pour l’exercice de ces droits de participation.

La garantie effective de la liberté syndicale devrait jouer un rôle particulièrement important en droit suisse puisque l’Etat a abandonné aux partenaires sociaux une grande partie de la réglementation des conditions de travail ainsi que le contrôle de l’application de cette réglementation. On ne peut en effet pas imaginer que l’Etat confie à des militants syndicaux et à leurs organisations la tâche d’établir des conventions collectives qui tiennent lieu de loi, et, en même temps, les laisse en proie à toutes les manœuvres d’employeurs qui, pour échapper à la négociation collective voulue par l’ordre juridique, entraveraient le recrutement syndical ou l’expression et la défense des revendications, par exemple en licenciant les militants.

Malgré le rôle important octroyé par le système juridique suisse aux délégués syndicaux et aux représentants du personnel, le droit suisse du contrat individuel de travail ne prévoit aucune protection réelle et effective de ces personnes contre les licenciements abusifs qui visent à en entraver l’action. En effet, la seule sanction d’un licenciement abusif est l’octroi d’une indemnité d’un montant maximal de six mois (rarement octroyé par les tribunaux), ce qui est nullement dissuasif pour les employeurs et ce qui ne permet pas de rétablir les délégués syndicaux et les représentants du personnel dans leurs droits.

Par ailleurs, le Tribunal fédéral considère qu’un motif d’ordre économique constitue un motif justifié de licenciement et que les représentants élus du personnel n’ont pas à bénéficier de plus de protection que les autres travailleurs en cas de restructuration. Cette solution est très insatisfaisante, puisque c’est principalement en cas de difficultés économiques que les représentants des travailleurs doivent pouvoir jouer efficacement leur rôle de défense des intérêts de l’ensemble des travailleurs victimes de restructuration. En outre, elle a pour effet de décourager tout réel engagement en faveur des travailleurs dans les commissions du personnel.

C’est en raison de cette protection totalement insuffisante et inefficace du droit suisse du contrat individuel de travail qu’à la mi-mai 2009, dans le cadre du plan de restructuration du « Tages-Anzeiger » et du « Bund », Daniel Suter et Daniel Goldstein, présidents respectifs des commissions du personnel de ces deux grands journaux, ont été licenciés. C’est également pour ce motif qu’au mois de février 2009, le Grand magasin Manor a licencié Marisa Pralong, vendeuse, déléguée syndicale d’UNIA et représentante des travailleurs à la commission paritaire du commerce de détail suite à des déclarations faites dans la presse au sujet des extensions d’horaires dans le commerce de détail.

Dans une décision sur mesures provisionnelles rendue le 26 mai 2009, la Chambre des relations collectives de travail de Genève a ordonné à Manor de réintégrer Marisa Pralong. Cette décision importante pour la protection des droits syndicaux, est fondée sur une disposition spécifique de la convention collective du commerce de détail de Genève qui interdit les licenciements anti-syndicaux. Le cadre juridique dans lequel cette décision provisoire a été prononcée va donc plus loin que la « protection » résultant du droit suisse du contrat individuel de travail.

Même si elle est importante, cette décision récente, qui sera certainement portée par Manor devant le Tribunal fédéral, n’est pas applicable sans autres à tous les militants syndicaux et représentants du personnel employés dans les entreprises suisses. En effet, la moitié au moins des travailleurs suisses ne sont protégés par aucune convention collective ; en outre, quasiment aucune convention collective ne contient actuellement de dispositions spécifiques en matière de licenciement des délégués syndicaux et des représentants du personnel ; enfin, il serait surprenant que les milieux patronaux, qui s’opposent à toute réelle amélioration de législation suisse en la matière, acceptent dans le futur des améliorations de la protection dans ce domaine dans le cadre de conventions collectives.

En définitive, le seul moyen de garantir effectivement la liberté syndicale et le fonctionnement des commissions d’entreprise, et partant le fonctionnement d’un réel partenariat social, est de modifier la législation suisse pour introduire le droit de réintégration en faveur de tous les délégués syndicaux et représentants élus des travailleurs dans les commissions d’entreprises licenciés abusivement.

En effet, seule la réintégration des délégués syndicaux et des représentants du personnel à leur poste permet de rétablir une situation conforme au droit et de faire cesser l’atteinte à la liberté syndicale que constituent leurs licenciements. C’est en outre le seul moyen de mettre réellement en oeuvre en Suisse la Convention No 98 de l’OIT concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective. ◆