Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Papier de discussion à l’intention du comité central

Doit-on participer à l’assainissement du deuxième pilier ?

vendredi 29 août 2003 par Claude REYMOND

La stratégie adoptée par comedia sur le deuxième pilier sort des chemins battus. D’habitude, lorsque les syndicats sont confrontés à un problème, ils cherchent à y apporter une solution en partant du prémisse qu’il faut construire sur ce qui existe. C’est ce que nous faisons avec l’AVS. Celle-ci doit être défendue et améliorée. On peut construire sur ses bases.

En ce qui concerne le deuxième pilier comedia n’a pas la même stratégie. Il a constaté que c’est une construction fausse, qu’il serait vain de chercher à la rénover. Nous avons donc choisi une stratégie de sortie du système des trois piliers.

Corrigeons les interprétations abusives

Qu’est-ce que cela signifie ? Certains ont faussement interprété cela comme une volonté de détruire le deuxième pilier, d’en faire passer le capital dans l’AVS. Cela est évidemment faut. Il n’a jamais été question pour comedia de prendre le capital des assurés pour le faire passer dans l’AVS. Cela serait politiquement impossible. Ce capital est propriété et sous la responsabilité de ceux ou celles qui l’ont accumulé, il doit le rester. Nous ne voulons donc pas détruire le deuxième pilier mais sortir de la logique des trois piliers en neutralisant le deuxième pilier au profit de l’AVS.

Le point de vue de la gauche établie

L’approche officielle (celle de l’USS et de la majorité des syndicats) est la suivante : puisque nous avons de nombreux membres qui ont un compte deuxième pilier, il faut participer à sa gestion, le gérer au mieux, si possible de manière sociale, par exemple en l’investissant dans des secteurs non spéculatifs. Cela est un vœu pieu : pour servir une rente convenable, il faut que le capital rapporte ; cela signifie qu’il faut soit exploiter directement et de manière agressive les travailleurs et travailleuses en investissant à la bourse, soit moins agressivement, par exemple en investissant dans des hypothèques ou des obligations, qui représentent aussi des parts de profits provenant de l’exploitation. Cette stratégie ne peut en aucun cas être un but stratégique pour un syndicat dont la tâche principale est de se battre contre l’exploitation.

Deux concepts qui s’excluent et s’affaiblissent mutuellement

C’est précisément parce qu’il est basé sur le profit que le deuxième pilier est construit sur des mauvaises bases. Il l’est d’autant plus qu’il ne permet pas la solidarité puisqu’il est individuel. Ceux qui gagnent beaucoup accumulent beaucoup et en « profitent ». Ils finissent par estimer l’AVS secondaire. Les autres n’ont que l’AVS, considérée comme « le pilier des pauvres » chargé de servir une rente minimale au sens propre du terme, « la plus basse pour survivre ». Les rentes AVS actuelles sont trop basses pour en vivre, et le deuxième pilier en est largement responsable.

C’est ce rapport entre l’AVS, construite sur une base solidaire, et le deuxième pilier, construit sur un base individualiste, qui rend difficile de développer l’AVS, et ce sera ainsi tant qu’il y aura encore le deuxième pilier.

Il y a deux manières qui s’excluent de considérer le filet social, en particulier la retraite :

  1. les générations dites actives sont conscientes qu’elles ont été à la charge, dans leur jeune âge, de la société, et qu’elles le seront dans leur vieillesse. Elles construisent alors un système basé sur la solidarité (ou la responsabilité !) entre les générations. Cela implique que les générations actives financent tant l’éducation des enfants que la retraite des anciens. Cela peut être appelé « un pacte social ».
  2. on estime que la retraite est une affaire individuelle, et on réglemente cela en conséquence. Chaque individu doit alors épargner (accumuler) pour sa retraite. S’il ne le fait pas, il est livré à lui-même, au mieux à la charité publique. Ce système prolonge jusqu’à la retraite toutes les inégalités et les injustices liées à l’exploitation capitaliste.

La création du deuxième pilier est basée sur l’illusion que solidarité et profit seraient conciliables. On a abouti à deux systèmes insuffisants : l’AVS, basée sur la solidarité est insuffisamment dotée pour servir des rentes permettant de vivre dignement, et le deuxième pilier continue à exclure ou pénaliser tous les bas salaires, les femmes en particulier, les temps partiels, tous ceux et celles qui n’ont pas un parcours typique de salarié (femmes chargée de la famille, personnes indépendantes, chômeurs et chômeuses, etc.)

La crise du deuxième pilier est celle du capitalisme

Elle est survenue plus tôt que prévue et est bien plus profonde qu’on le pense souvent. De plus elle n’est pas principalement le fruit de volontés politiques qui voudraient voler les assurés (la bourgeoisie et les assurances se passeraient volontiers de la crise de rentabilité du capital !), mais elle provient de deux facteurs structurels : a) l’accumulation de capital mène à la baisse du taux de profit aussi sûrement que le fleuve mène à la mer ; b) le crack boursier n’est pas un phénomène passager, mais reviendra périodiquement, à chaque fois qu’il faudra détruire du capital pour rétablir les taux de profit. Les capitaux du deuxième pilier n’échappent pas à ces phénomènes. Ils y sont de plus bien plus sensibles parce qu’ils ne sont pas dominants, ils sont traités comme des capitaux de petits épargnants.

On ne répond pas à ces problèmes par des réformes, ou alors les seules réformes possibles sont celles proposées par l’USS. A partir de son positionnement, l’USS a une ligne cohérente, elle cherche les mesures techniques les moins douloureuses. Ce n’est pas dans les mesures adoptées que l’USS a tort, mais dans son positionnement de base : sauver le système des trois piliers envers et contre tout.

Comedia a évité l’incohérence

A partir de son positionnement comedia n’est pas pris dans cette contradiction. Dès le début de la crise le bureau dans sa majorité a estimé qu’il ne fallait pas entrer dans la discussion des mesures d’assainissement mais continuer à expliquer la position de comedia et montrer des scénari de sortie cohérents.

Un scénario de sortie ne peut qu’être politique, sa fonction est de montrer la voie politique qui rende la sortie possible. Il ne doit pas être technique, ou essayer de montrer des modèles actuariels. Ces derniers ne viendront qu’ensuite. C’est dans la discussion du scénario de sortie que sont apparues des divergences d’approches parmi les forces qui y sont favorables.

Défendre les assurés, qu’est-ce ?

La divergence est la suivante : faut-il proposer des mesures qui prétendent mieux représenter les intérêts des assurés du deuxième pilier ?

Tout le monde reconnaît que les assurés ont été trompés. Mais on ne peut pas dire qu’ils étaient contre le deuxième pilier, ils en connaissaient les risques et se sont massivement prononcés en sa faveur. Ils ont été trompé parce qu’ils ne mesuraient pas l’ampleur de ce risque et que l’USS a en tout temps vendu le deuxième pilier comme quelque chose de solide et, a contrario de l’AVS, non soumis aux problèmes liés à la structure des générations (moins d’actifs à cause de la baisse de la natalité, plus de retraités à cause de l’augmentation de l’espérance de vie). Comme il était individuel, chacun s’assurerait et accumulerait ce qu’il peut.

Ceux qui mettaient en doute le deuxième pilier sur le terrain de sa prétendue solidité, le terrain de l’économie, étaient hyper minoritaires. C’est sur ce terrain que sa faiblesse est pourtant apparue. Si on prétend résoudre ce problème, il faut alors faire des propositions adéquates. Je ne crois personnellement pas que le capitalisme puisse être réformé en faveur des travailleurs et des travailleuses et devenir suffisamment stable pour garantir à tous et toutes des rentes basées sur le profit. Pour résoudre le problème économique du deuxième pilier il faudrait oser proposer un scénario de sortie du capitalisme ! Trop peu de gens le font… le grand soir n’est malheureusement pas encore arrivé.

Se mettre d’accord sur des principes politiques et des objectifs

A défaut d’un scénario de sortie du capitalisme, il faut continuer à proposer un scénario de sortie du système des trois piliers, et se tenir à cette ligne. Les objectifs sur lesquels il faut se mettre d’accord touchent les points suivants :

  1. les sommes jusqu’à aujourd’hui accumulées dans le deuxième pilier doivent rester acquises aux assurés
  2. les cotisations de la partie obligatoire actuellement affectées au deuxième pilier seront désormais versées à l’AVS
  3. les minima AVS sont immédiatement adaptés grâce aux nouvelles ressources
  4. une assurance maternité digne de ce nom qui pourrait être financée par une partie des ressources anciennement affectées au deuxième pilier (par exemple la partie de cotisation, 2 à 3%, affectée à la couverture des risques), assure également les annuités correspondant aux années consacrées à l’éducation des enfants
  5. un système de prise en charge progressive des rentes, basé sur les années respectives de cotisations, est établi
  6. la part des cotisations versées par l’entrepreneur finançant la partie surobligatoire actuellement versées au deuxième pilier alimentera une caisse complémentaire d’entreprise à gestion paritaire (elle pourrait par exemple servir à financer des préretraites et des plans sociaux).

Ces propositions fixent les conditions de transfert des tâches du deuxième pilier dans le premier en assurant à chacun⋅e l’acquis actuel dans le deuxième pilier.

Se concentrer sur nos objectifs

Je pense que les mesures de sauvetage des acquis du deuxième pilier ne sont pas l’affaire de comedia et doivent avoir un coût social neutre. Par coût social neutre j’entends coûts endossés par la collectivité. Toutes les ressources supplémentaires destinées aux retraites émanant de fonds publiques ne doivent pas être affectées au sauvetage du deuxième pilier, mais à l’amélioration de l’AVS.

Le deuxième pilier n’était pas seulement une erreur mais aussi une défaite historique du camp des travailleurs⋅euses. Lorsque nous affirmions cela nous savions pourquoi : elle affaiblira l’AVS, au sens où construire sur elle serait plus difficile, et elle grugera certains assurés. C’est ce qui arrive actuellement. Chaque caisse du deuxième pilier se débat dans de grandes difficultés et n’a pas d’autre solution que de s’ajuster.

Comedia doit-il participer à cela ? Je ne pense pas. Nous n’avons donc pas à choisir dans la panoplie des mesures d’assainissement toutes plus impopulaires les unes que les autres. Nous n’avons pour l’heure qu’à constater les dégâts en mettant en avant nos propositions.

A mon avis proposer une caisse ou une fondation (publique ou non ?) accueillant les mauvaises caisses n’est non plus pas la tâche de comedia. Le SIB semble chercher une voie dans cette direction. Une telle caisse ou fondation ne serait pas viable sans à terme également s’attaquer sauvagement aux acquis des assurés. On ne crée pas quelque chose en bonne santé en additionnant des maladies, ou alors on admet que des fonds rétablissant la santé des caisses soient trouvés. Ce ne pourrait qu’être des fonds publiques, ou des cotisations supplémentaires dites d’assainissement. Ni l’une, ni l’autre des solutions n’est acceptable, parce que ni l’une ni l’autre n’est une réponse aux causes qui ont menés au désastre actuel.

Christian Tirefort

Août 2003