Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Manifeste chômage de la CGAS (juin 2021)

lundi 3 octobre 2022 par Joël VARONE

Aider et soutenir plutôt que surveiller et punir

Pour un changement de paradigme en matière de chômage à Genève
Ils-elles étaient 18’875 à être inscrit-e-s comme demendeurs-euses d’emploi à Genève en mai de cette année, dont 12’740 à bénéficier d’indemnités de chômage. A ceux-celles-là s’ajoutent encore toutes les personnes non inscrit-e-s auprès des ORP mais néanmoins à la recherche d’un emploi ou souhaitant augmenter leur taux d’activité, pour un total d’environ 30’000 personnes en sous-emploi. Au même moment, près de 20’000 travailleuses et travailleurs sont au chômage partiel en raison de la pandémie et de ses effets, dont nul ne sait ce qu’il adviendra au moment où Berne coupera le robinet des RHT. Tandis que les licenciements collectifs continuent de se multiplier.
La réponse à cette situation dramatique doit évidemment passer par un plan de relance ambitieux, à édifier sur les deux piliers fondamentaux que sont la justice sociale et la justice climatique. Car si relance il doit y avoir, ce n’est pas pour reprendre la course effrénée vers la maximisation du profit à court terme au mépris de l’environnement et du réchauffement climatique. Or, cette relance écologique ne pourra avoir lieu sans être accompagnée d’une meilleure répartition des richesses. Car la crise ne fait que creuser les inégalités : tandis que les travailleuses et travailleurs sont des milliers à perdre emplois et/ou revenus, les grandes fortunes n’ont cessé de croître pour atteindre des sommets inégalés dans l’Histoire de l’humanité. Et les mécanismes de redistribution des richesses sont connus : augmentation généralisée des salaires, à commencer par celui des femmes, plus grande progressivité de l’impôt, et développement des prestations publiques et de la protection sociale pour toutes et tous.
Sur le front de l’emploi et du chômage, ce plan de relance doit évidemment passer par une politique publique résolument volontariste en matière de création d’emplois. C’est ce que vise l’initiative syndicale « pour la création d’emplois écologiques et sociaux et la réduction de la durée du travail (initiative 1000 emplois) », doublée de nouveaux droits pour les travailleuses et travailleurs en matière de formation et de reconversion professionnelle.
Mais cela doit également passer par un véritable changement de paradigme en matière de traitement réservé aux chômeuses et aux chômeurs. Car sur ce plan, la politique cantonale en matière de chômage a progressivement quitté ses habits d’assurance sociale pour prendre ceux d’une machine à culpabiliser, déshumaniser et sanctionner les chômeuses et les chômeurs. Un mouvement initié avec la réforme de François Longchamp de la Loi sur les mesures cantonales en 2006, et renforcée sous la gouvernance de Mauro Poggia et de l’actuelle direction de l’Office cantonal de l’emploi. De travailleurs-euses expulsé-e-s du marché du travail dont il s’agissait d’assurer le revenu et d’accompagner dans leurs recherches d’emploi, les chômeuses et chômeurs sont devenu-e-s malgré eux-elles des faignant-e-s responsables de leur sous-emploi et qu’il faut sanctionner chaque fois que possible, des profiteurs-euses à qui il faut refuser des droits, ou encore des travailleurs-euses de deuxième catégorie exploitables à volonté et à bas prix sur un « marché secondaire de l’emploi » théorisé à cette unique fin.
Genève s’est longtemps situé en queue de peloton en matière de nombre de recherches d’emploi exigées et de sanctions prononcées, tenant tête sans rougir aux pressions du Secrétariat fédéral à l’économie (SECO) et à celles d’une droite patronale résolue à rogner méthodiquement les droits des chômeurs-euses afin de réduire au silence toutes velléités revendicatives de la main d’œuvre. Mais avec 17’359 pénalités prononcées en 2019 (+136% par rapport à 2012), c’est dorénavant en tête que Genève mène sa course non plus contre le chômage mais contre les chômeuses et les chômeurs.
Une politique du bâton poursuivie en pleine pandémie à laquelle une majorité du Grand Conseil, sous l’impulsion des syndicats et d’une pétition signée par près de 5000 personnes, a décidé de mettre un frein, en adoptant en avril dernier la motion « Soutenir plutôt que punir ».
Le contenu de cette motion doit maintenant être mis en œuvre, ce que le changement à la tête du département de l’emploi et plus largement de majorité gouvernementale devrait favoriser. Mais passer du paradigme « surveiller et punir » à celui d’« aider et soutenir » implique d’autres changement. De lois, de règlements, mais également de culture et de pratiques au sein de l’OCE. Car il s’agit non seulement de faire pression pour une réforme fondamentale de la LACI, mais également d’exploiter au maximum la marge de manœuvre cantonale dans l’application du droit fédéral, quitte à oser la confrontation avec les autorités fédérales.
Il en va de la dignité des demandeurs-euses d’emploi, pour que personne ne soit laissé-e au bord du chemin.

Revendications
Les attentes de la CGAS sont tout d’abord celles d’un changement rapide de culture institutionnelle de l’OCE afin de disposer d’un service public qui soutient les sans-emplois à tous les échelons de la relation avec l’Office, agissant avec un logique de service public et pas avec une logique d’administration chicanière. Elle attend également que l’OCE applique avec discernement les dispositions de la LACI et les prescriptions du SECO de la manière la moins dommageable pour les sans-emplois.

Stop au déni de droit
Les syndicats constatent que le personnel de l’OCE décourage l’inscription de certain-e-s sans-emplois, par exemple des personnes en arrêt de travail pour maladie ou accident ou momentanément en incapacité de travail, des migrant-e-s en attente du renouvellement du permis de séjour, des personnes dont le dossier n’est pas encore complet, etc.
Pour la CGAS, toute personne désirant s’inscrire à l’Office doit pouvoir le faire. Si l’Office considère qu’elles ne remplissent pas les conditions, alors une décision de refus d’inscription doit être produite, elle doit indiquer les voies de droit, ce qui permet cas échéant à la personne de la contester. Toute autre manière de procéder relève du déni de droit.

Le tout numérique laisse des personnes sur le carreau : pour le maintien d’un service public ouvert et accessible à toutes et tous
Déjà avant la pandémie, L’OCE prônait le tout numérique dans la relation avec les sans-emplois : inscription en ligne, rdv téléphoniques, convocation par sms, formations et tests en ligne, recherches d’emplois en ligne, etc.
La période de pandémie a accentué le virage au tout numérique. Si la fermeture des guichets pouvait être comprise au plus fort de la pandémie, il est désormais inadmissible qu’un service public faisant partie du filet social censé lutter contre la précarisation d’une partie de la population du Canton reste porte close et mise tout sur les relations à distance.
Parce que les personnes peu qualifiées et peu à l’aise avec les outils numériques, celles qui disposent d’anciens modèles de téléphones portables et les allophones ne sont pas toujours à l’aise avec ces technologies, le tout numérique se révèle peu inclusif de ces personnes au risque qu’elles renoncent à leurs droits.
C’est pourquoi la CGAS demande le maintien de guichets ouverts et accessibles à toutes et tous sans discrimination selon l’accès aux technologies, le maintien de rendez-vous en présentiel plutôt que par téléphone et visioconférence, la réintroduction de séances d’information en matière de droits et devoirs des chômeuses et des chômeurs avec possibilité de poser des questions.

Sanctions : stop à la précarisation des sans emplois
La CGAS attend un changement radical quant à la politique de sanctions à l’égard des sans-emplois et le retour à une politique moins punitive. Il n’y a pas de quoi être fiers qu’en quelques années Genève soit devenu un des cantons qui pénalise le plus les sans empois. Au contraire, les priver d’une part importante d’un revenu déjà faible, c’est concourir à leur précarisation et au recours à l’aide sociale. Pour la CGAS, les pénalités doivent être limitées au strict minimum imposé par la loi. En outre, telle que demandé par la motion M2744 et la majorité qui l’a soutenue en avril 2021, les pénalités prononcées durant la pandémie doivent être annulées et les sans-emplois remboursé-e-s.

Droit d’être entendu avant les sanctions
Les syndicats constatent que les décisions de sanctions sont prises sans avoir précédemment entendu les personnes concernées. La Loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) prévoit qu’il n’est pas nécessaire d’entendre les parties avant de prononcer une décision sujette à opposition. Toutefois rien ne l’interdit. De nombreuses sanctions pourraient être évitées suite à un entretien valant droit d’être entendu qui permet de vérifier des informations et de contextualiser.
La CGAS demande l’instauration d’un droit d’être entendu avant un prononcé de sanction. Il peut être exercé par un entretien, ou moyennant un préavis écrit de sanction avec délai de réponse.

Travail temporaire et précarisation de l’emploi
Le but de l’assurance-chômage est « l’intégration rapide et durable des aussuré-e-s dans le marché du travail (Art.1 LACI). Intégration durable signifie un emploi à durée indéterminée et non pas enchaîner les CDD à travers des agences de travail temporaire. La CGAS a toujours critiqué les liens privilégiés établis par l’OCE avec les agences de travail temporaire. Ce n’est pas le rôle du service public de l’emploi de renforcer la précarité en fournissant de la main d’œuvre temporaire ou des MMT (Mesures du marché du travail) aux agences car l’intégration ne présente pas de caractère durable.
Ces liens privilégiés doivent être remis en question, le service public de l’emploi ne doit pas fonctionner comme un auxiliaire de ces sociétés dans la recherche de main d’œuvre à bon marché, menacée de pénalités en cas de refus.

Contrôle des entreprises qui bénéficient des AIT et des ARE
Le contrôle des entreprises qui bénéficient de mesures AIT (Allocation introduction au travail) prévue par la LACI ou ARE (Allocation retour en emploi) prévue par la LMC exercé par les commissions tripartites est trop sommaire et orienté sur les conditions de travail de la personne sans prendre en compte le respect des règles pour tout le personnel de l’entreprise. Il arrive ainsi que des entreprises ne respectent pas les CCT, soient au bord de la faillite, se permettent des retards dans le versement du salaire alors qu’elles ont perçu l’argent de l’assurance pour verser le salaire.
La CGAS propose que ces contrôles d’entreprise en amont des décisions de l’OCE et de la commission tripartite soient institués et que la tâche soit confiée à l’OCIRT et à l’IPE pour les secteurs dépourvus de CCT et aux commissions paritaires dotées d’un bureau de contrôles pour les secteurs soumis à CCT.

Réduire le nombre imposé de recherches d’emploi
Toutes les personnes au chômage recherchent de l’emploi. Le nombre imposé de recherches mensuelles à fournir se révèle être un instrument de contrôle et de punition des sans-emplois, dans le but de les décourager à rester inscrit-e-s à la LACI. Preuve en est la corrélation entre l’augmentation du nombre imposé exigé mensuellement et le nombre de pénalités prononcées à l’encontre des sans-emplois. Le nombre imposé a passé de 5 à 10 en 2016, avec augmentation du nombre de pénalités prononcées, puis à 15 en 2019 pour les secteurs à obligation d’annonce.
Le nombre imposé est une exigence de la loi fédérale. La CGAS encourage le canton à intervenir à Berne et prône un retour à Genève à un nombre imposé minimal de 5 recherches mensuelles, tenant compte de la situation du marché du travail et de la situation particulière de chaque chômeuse et chômeur.

Travail temporaire et gain intermédiaire
La CGAS demande à alléger les exigences administratives à l’égard des personnes qui alternent emploi temporaire, gain intermédiaire et chômage. Parce que de manière prévalante elles sont en activité, le nombre imposé de recherches mensuelles exigibles doit être fortement allégé. Il n’est pas rare de constater des pénalités pour insuffisance de recherche d’emploi en cas de battement de deux semaines entre une mission et l’autre. Or, si la prochaine mission est connue, elle vaut contrat de travail et placement en emploi. ll est absurde et disproportionné d’exiger de ces personnes qu’elles continuent de produire des recherches d’emplois. Il est aussi demandé de ne pas fermer le dossier en cas de début de mission temporaire de moins de 3 mois qui nécessitera des démarches administratives de réinscription une fois la mission terminée.

Obligation d’annonce et assignation en emploi
La CGAS est contre toute forme de préférence nationale, cantonale ou indigène à l’emploi. Elle a dénoncé avec force que l’obligation d’annonce découlant de la mise en œuvre de l’initiative « contre l’immigration de masse », plutôt que d’aider les sans-emploi à en retrouver un, allait être un instrument supplémentaire pour pénaliser les sans-emplois. Ceci se produit facilement dès lors qu’un poste issu de l’obligation d’annonce, au lieu d’être simplement proposé, fait l’objet d’une assignation en emploi. Le refus d’une assignation est lourdement pénalisé.
La CGAS demande l’arrêt des assignations en emploi.

Emplois de solidarité
La CGAS prône la création d’emplois stables aux conditions usuelles d’emploi et est défavorable à cette mesure. Elle demande le retour à des emplois à durée indéterminées. Elle demande aussi que le salaire des EdS, soumis au respect du salaire minimum cantonal et au salaire minimal prévu par les CCT étendues de force obligatoire, soit également soumis au respect du salaire des CCT non étendues et aux grilles salariales de l’institution qui emploie la personne en EdS.

Droits des chômeuses et des chômeurs
Les syndicats constatent des relations tendues et une perte de confiance entre les sans-emplois et le personnel de l’OCE.
Des mesures simples peuvent apaiser cette relation. Il s’agit sur simple demande de faciliter le changement de conseiller-ère en cas de tension. Et de créer une instance de médiation et de recours en cas d’atteinte à la personnalité.

MMT - Mesures du marché du travail
Les MMT sont un outil central de l’assurance-chômage puisqu’elles visent à « améliorer l’aptitude au placement des assurés de manière à permettre leur réinsertion rapide et durable » (art. 59, al. 2 LACI). Pour pouvoir y arriver de façon efficace, il ne faut cependant pas que les MMT soient focalisées unilatéralement sur les soi-disant besoins du marché de l’emploi – notion aussi floue que volatile – mais avant tout prendre en compte les besoins et aspirations des assuré-e-s en matière de soutien et de formation.
Il est ainsi demandé :
• la réintroduction d’un vrai bilan de compétence par un organisme spécialisée (CEBIG) pour les personnes qui en auraient le besoin ;
• la réintroduction de cours de français pour non francophones ;
• en cas de refus de mesure, envoi systématique d’une décision motivée et munie des voies de droit ;
• une refonte du catalogue de mesures pour les recentrer sur le besoin des personnes plutôt que sur le prétendu besoin du marché de l’emploi ;

Réorienter vers une culture de soutien aux sans-emplois : soutenir et former le personnel
Le changement de culture prôné par la CGAS passe tout d’abord par le renforcement des équipes de l’OCE en nombre de postes et par une nouvelle stratégie d’embauche de conseillers-ères afin de miser sur la capacité d’empathie plutôt que sur le contrôle et la sanction.
Mais aussi par la formation du personnel à assurer un accueil de qualité.
Il se révèle important de former les conseillères et les conseillers à un accueil exempt de discrimination en raison du sexe, de l’origine, etc. Les syndicats demandent l’arrêt des questions intrusives réservées aux femmes à propos de la garde d’enfant afin de contrôler l’aptitude au placement.
La formation d’un pôle de spécialistes parmi les conseillers-ères pour les différentes situations particulières (jeunes en rupture de formation, problématiques de santé, chômeurs-ses âgé-es…) est nécessaire afin de garantir un conseil optimal de ces situations.
Est également nécessaire une formation plus pointue des conseillers-ères et du service juridique sur les sujets d’importance à la fois pour les Offices régionaux de placement (ORP) et pour les caisses de chômage.

Collaboration entre OCE et caisses de chômage
Un certain nombre de bonnes pratiques dans le cadre de la collaboration entre les ORP et les caisses de chômage ont été progressivement abandonnées.
De nombreuses situations auxquelles les ORP et les caisses sont confrontées sont complexes et pourraient trouver une réponse plus satisfaisante si la collaboration entre offices était à nouveau renforcée.
De plus grands efforts sont également nécessaires dans le cadre de la Collaboration interinstitutionnelle (CII) afin de mieux coordonner les situations dans lesquelles plusieurs acteurs dans les domaines des assurances sociales (ex : chômage et assurance-invalidité) et de l’aide sociale sont appelées à intervenir.
Concrètement, nous demandons :
• un renforcement de l’échange entre conseillers-ères et caisses de chômage pour une meilleure prise en charge des personnes dans des situations complexes ;
• un renforcement de la CII entre les différentes assurances sociales et l’aide sociale pour une meilleure prise en charge des situations compliquées dans l’intérêt et en faveur des assuré-es.

Amélioration des PCMM-Prestations en cas d’incapacité de travail
Prévues par la LMC, ces prestations procurent un revenu de remplacement aux chômeuses et aux chômeurs en arrêt maladie. La CGAS propose d’améliorer ces dispositions légales cantonales.
Au premier chef, la durée maximale d’indemnisation actuellement de 270 jours ouvrables doit être relevée au niveau pratiqué par les assurances de perte de gain maladie qui servent des prestations jusqu’à 720 jours civils d’arrêt maladie.
Cette durée devrait être la limite pour tous les cas, y compris ceux pour qui le droit aux indemnités de chômage était inférieur à cette durée. De même, l’indemnisation devrait se poursuivre au-delà de la fin du délai-cadre de chômage de l’assuré-e.
Comme l’assurance-chômage indemnise les 30 premiers jours civils d’un arrêt maladie, il n’y a pas lieu d’introduire, après la fin de l’indemnisation de l’arrêt par l’assurance fédérale, un délai de carence avant l’indemnisation par les PCMM.