Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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La Confédération romande du travail, 1910-1918

Par Charles Hubacher, secrétaire de la F.O.M.H.

vendredi 10 août 2007

N’ayant été qu’une organisation transitoire, créée dans le but de rallier toutes les unions ouvrières et syndicats qui admettaient les principes du mouvement syndical centraliste, la Confédération romande du travail, si elle fit du bon travail, fit par contre peu de bruit. Son activité constitue néanmoins aussi un épisode du mouvement ouvrier en Suisse romande. Force est donc d’en parler.

Elle a été constituée sur l’initiative du Bureau central des monteurs de boîtes or, alors que le mouvement anarcho-syndicaliste avait déjà du plomb dans l’aile.

Depuis 1905 le mouvement ouvrier était fortement divisé en Suisse romande. Les débuts de cette nouvelle organisation ne pouvaient être que difficiles. Les unions ouvrières et les syndicats isolés des localités des bords du Léman et autres centres des cantons de Vaud, Valais et Fribourg étaient encore, en 1910, inféodés au mouvement anarcho-syndicaliste. Les autres unions ouvrières, notamment celles du Jura neuchâtelois et bernois, restaient à l’écart et n’avaient guère de relations entre elles. Certains syndicats, qui se rattachaient aux unions ouvrières de La Chaux-de-Fonds, du Locle et de Bienne, adhéraient en même temps à la « Fédération des Unions ouvrières de la Suisse romande. »

D’autres syndicats isolés ne participaient pas au mouvement anarcho-syndicaliste, mais (grâce à la campagne de dénigrement et de calomnie contre les fédérations et les militants centralistes, entretenue avec soin dans La Voix du Peuple) restaient en dehors des fédérations auxquelles ils auraient pu et dû se rattacher. Nous avions à cette époque, en Suisse romande, la plus belle mosaïque syndicale que l’on put rêver.

Pour tenter de mettre fin à cette situation, une première assemblée fut convoquée au milieu de septembre 1910, à Yverdon, à l’Hôtel du Port.

Sur 57 organisations qui y furent invitées treize seulement s’y firent représenter par 39 délégués. Parmi ceux-ci se trouvaient Achille Gros-pierre, Emile Ryser, Achille Graber, Auguste Huggler et Henri Viret. Comme président de séance fonctionna Léonard Daum, président de l’Union ouvrière de La Chaux-de-Fonds.

Après un exposé de la situation et une discussion nourrie, au cours de laquelle quelques délégués anarcho-syndicalistes firent opposition, il fut décidé, par vingt voix contre douze et sept abstentions, de constituer une nouvelle organisation qui admettrait les principes centralistes, pour contrebalancer l’influence néfaste des gens de La Voix du Peuple. Comme en 1905 à Lausanne, c’est de nouveau l’Union ouvrière de La Chaux-de-Fonds qui fut chargée de lélaboration d’un projet de statuts.

Le premier congrès, ou assemblée constitutive, eut lieu à Neuchâtel, au café du Monument, sous la présidence du collègue Edmond Breguet, des horlogers de La Chaux-de-Fonds, le dimanche 5 février 1911. Léonard Daum, qui relevait de maladie, fut appelé à la vice-présidence et Paul Beynon fonctionna comme secrétaire.

Il est constaté la présence de six unions ouvrières et de onze organisations syndicales. Comme unions ouvrières, ce sont :

Le Locle, avec quatre délégués : E. Antenen, F. Dörflinger, Charles Schlageter et Achille Grospierre.

Montreux, avec un délégué : Schnetzler Emile.

St-Imier, avec deux délégués : Vaucher Léon et Perret Fernand.

Fleurier, avec un délégué : Eugène Bandelier.

Bienne, avec un délégué : Arthur Zehnder.

La Chaux-de-Fonds, avec cinq délégués : Charles Jacot, Arnold Gros-vernier, Fritz Bachmann, Paul Beynon et Léonard Daum.

Les syndicats représentés étaient :

Typographes de la Chaux-de-Fonds, par Evard Edmond.

Horlogers de La Chaux-de-Fonds, par Breguet Edmond et Vuille Berthold.

Faiseurs de cadrans, Bienne, par Henri Coulaz.

Décorateurs de La Chaux-de-Fonds, par Paul Beynon.

Alimentation, Lausanne, par Henri Viret.

Maçons et manœuvres, Vevey, Guinomilli.

Ebauches et assortiments, Sonceboz-Corgémont, Rossel.

Horlogers, Chézard, par Ernest Schär.

Monteurs de boîtes, Renan, par Albert Hasler.

Cigarriers, Yverdon, par Fornerod Placide.

Cigarriers, Grandson, par Croux Henri.

Union générale des ouvriers horlogers, par Achille Graber.

Emile Ryser étant malade ne put participer à cette assemblée.

Les statuts et le programme de la nouvelle organisation, qui reçut le nom de « Confédération romande du Travail », furent adoptés. Les statuts comprenaient treize articles. L’article 2 prévoyait que les syndicats adhérants à la C.R.T., soit par leur union ouvrière ou isolément, devaient appartenir à la fédération syndicale de leur métier ou de leur industrie, pour autant qu’il en existait une. C’était donc engager nettement les syndicats à la centralisation.

Les organes de la nouvelle organisation étaient :

  1. Les assemblées des délégués ;
  2. Le comité directeur.

Chaque année, au moins, une assemblée de délégués devait avoir lieu. Les délégués étaient nommés à raison d’un par 200 membres. Des assemblées extraordinaires pouvaient être convoquées par le Comité directeur ou à la demande de trois unions ouvrières.

Les articles 6 et 7 indiquaient les attributions et compétences des assemblées de délégués.

L’article 8 prévoyait que les fédérations professionnelles, ainsi que l’Union suisse des fédérations syndicales (actuellement : Union syndicale suisse), pouvaient envoyer chacune un représentant, avec voix consultative, aux assemblées de délégués.

Les articles 9 et 10 prévoyaient la composition et les attributions du comité directeur, nommé pour une année, par l’Union ouvrière désignée par le congrés comme section directrice.

L’article 11 réglait la question financière. La caisse était alimentée par une cotisation obligatoire, fixée à l’avance par le congrès. Elle ne devait pas être supérieure à 10 centimes par membre et par année.

L’article 12 disait que la dissolution de l’association ne pouvait avoir lieu tant que trois unions ouvrières en faisaient partie, et, qu’en cas de dissolution, l’avoir et les archives devaient être remis à l’Union suisse des fédérations syndicales.

L’article 13, finalement, décrétait l’application immédiate des statuts et prévoyait qu’une révision ne pouvait avoir lieu que par une assemblée de délégués, à condition que la révision ait été portée à l’odre du jour et décidée à la majorité des deux tiers des délégués présents.

Le programme de la Confédération romande du Travail, élaboré si nous ne faisons erreur, par Achille Graber, reconnaissait comme principe fondamental, que l’émancipation des travailleurs n’est possible que par la socialisation des moyens de production et d’échange.

Toutefois, le programme déclarait : « Les expériences montrent que cette socialisation ne peut être le résultat d’un coup de main de quelques audacieux, ni même d’un mouvement plus vaste, dans la situation économique actuelle, étant donné l’état des esprits et de l’organisation de la classe ouvrière. »

« Elle présuppose, d’une part, une société capitaliste poussée à son extrême développement et, d’autre part, une classe ouvrière consciente de ses droits et devoirs, capable par ses organisations d’assumer les charges de la production et de l’échange. »

Puis le programme constatait que ces conditions était loin d’exister, surtout dans notre pays de petite propriété et de petite production, où l’industrialisation capitaliste de l’agriculture et des métiers n’est que naissante et s’opère plus lentement qu’ailleurs, et où le prolétariat est encore insuffisamment organisé et conscient de son rôle.

« Pour préparer les conditions nécessaires à son émancipation et pour diminuer les conséquences immédiates du régime actuel, « disait plus loin le programme », la classe ouvrière doit tout d’abord se rendre un compte exact du milieu économique dans lequel elle travaille et vit. En même temps qu’elle acquiert une vue plus claire et plus nette de cette situation, elle pourra employer avec succès les modes de lutte qui sont :

Organisation des syndicats en fédérations industrielles ;

Union nationale et internationale des fédérations ;

Diminution des heures de travail, salaire minimum, suppression du travail aux pièces et du marchandage, contrats collectifs, etc.

Dans le domaine de la législation :

Révision de la loi fédérale sur le travail dans les fabriques.

Lutte permanente contre toutes les mesures qui tendent au renchérissement du coût de la vie. Assurance maladie et accidents ; assurance contre le chômage ; assurance contre la vieillesse et l’invalidité. »

Quant aux moyens d’action, le programme se refusait d’en indiquer un seul à l’exclusion de tous les autres. Il constatait que la tactique ne se théorise pas, qu’elle dépend de la force de nos organisations, de celle de nos adversaires et des conditions dans lesquelles elle est appelée à s’exercer.

« La bataille quotidienne « y est-il dit plus loin, « doit s’adapter aux conditions économiques et sociales de chaque pays, de chaque canton, parfois même de chaque localité ou de chaque industrie. Et c’est pourquoi, sans dire à laquelle des trois formes de lutte : syndicale, politique économique, coopérative, nous devons donner, en une circonstance déterminée, la préférence, nous estimons que leur emploi simultané permettra à la classe ouvrière de s’émanciper graduellement. »

Pour réaliser son programme, la Confédération romande du Travail prévoyait l’organisation de conférences, des assemblées de militants, ainsi que la publication de brochures d’éducation prolétarienne, elle entendait généraliser et coordonner l’agitation en faveur des revendications ouvrières et sociales, appuyer les fédérations d’industrie et de métier et employer toutes les formes d’action pratiques et possibles [1].

Les statuts et le programme furent admis à l’unanimité, toutefois les délégués de St-Imier, Corgémont et Montreux, déclarèrent n’être pas mandatés pour les voter, mais vouloir cependant en recommander l’adoption à leurs groupements.

L’Union ouvrière de La Chaux-de-Fonds fut nommée section directrice, après que celle du Locle se fut désistée en sa faveur. Il fut toutefois convenu que chaque union ouvrière aurait à tour de rôle à assumer cette charge. Puis le congrès s’occupa encore de la propagande à faire par le comité directeur de la C.R.T., propagande qui consistait en premier lieu à intervenir auprès des unions ouvrières qui n’étaient pas affiliées à la « Confédération romande du Travail » et à créer des unions ouvrières là où il n’en existait pas encore.

Du rapport de gestion du comité directeur pour 1911, nous voyons que celui-ci fut nommé par la section directrice après le premier congrès de Neuchâtel. Il était constitué comme suit :

Président : Ed. Huguenin.

Vice-président : Charles Zundt.

Caissier : Georges Dumont.

Secrétaire : James Wermeille.

Vice-secrétaire : Gustave Pingeon.

Archiviste : Julien Houriet.

Membre adjoint : Ariste Gagnebin.

A fin 1911, cinq unions ouvrières et quatre syndicats isolés, groupant au total 4,575 membres, se rattachaient à la C.R.T. – L’Union ouvrière de Genève – constituée récemment avec les syndicats qui s’étaient détachés de la « Fédération des syndicats ouvriers de Genève », tendance anarcho-syndicaliste – qui groupait déjà 1,100 membres, donnait son adhésion à la C.R.T. à partir du 1er janvier 1912.

Par contre, le rapport constate que l’Union ouvrière de Montreux, après avoir demandé et obtenu des secours, refusa son adhésion.

L’Union ouvrière de Neuchâtel n’avait jamais répondu aux invitations du comité directeur.

L’Union ouvrière de St-Imier trouva la cotisation (5 centimes par membre et par année) trop élevée et resta spectatrice.

L’Union ouvrière de Fribourg comptait « énormément » d’éléments allemands et ne voyait pas la nécessité d’adhérer à la C.R.T.

L’Union ouvrière de Fleurier ne maintint pas l’adhésion donnée à Neuchâtel.

L’Union ouvrière de Tramelan s’était volatilisée.

De Broc, où une union ouvrière comptant 500 membres s’était constituée, ainsi que de Payerne, l’on attendait des réponses favorables.

Dans l’ensemble, on constate encore l’influence des anarchos-syndicalistes qui, partout où ils le pouvaient, empêchaient naturellement les unions ouvrières d’adhérer à la C.R.T.

Pendant l’année 1911 le comité directeur expédia 320 circulaires, rapports, appels, manifestes, etc.

Les recettes se montèrent à 228 fr. 75 ; les dépenses à 152 francs.

L’Union ouvrière de St-Imier avait envoyé 100 francs en faveur des grévistes de Montreux, dont 50 francs pour les maçons et 50 francs pour les tailleurs. Le Syndicat des horlogers de Villeret de son côté avait aussi envoyé 20 francs en faveur des maçons de Montreux en grève. Cependant, le Comité directeur se plaint de ce qu’une union ouvrière leur avait fait parvenir la somme de 50 francs sans passer par le bureau de la C.R.T., et il émet le vœu que dorénavant on ne nomme dans les comités des unions ouvrières ou syndicats isolés qui pourraient être appelés à nommer le comité directeur que des camarades réellement centralistes.

Un deuxième congrès eut lieu à Neuchâlel, au café du Monument, le dimanche 21 janvier 1912, sous la présidence du collègue Edouard Huguenin, président du comité directeur. Le secrétaire de séance fut James Wermeille. L’ordre du jour était passablement chargé : 1. Vérification des mandats ; 2. Nomination du bureau du congrès ; 3. Nomination des vérificateurs de comptes ; 4. Rapport du comité directeur ; 5. Rapport de caisse ; 6. Fixation de la cotisation 1912 ; 7. Lieu du prochain congrès ; 8. Nomination de la section directrice ; 9. Situation dans le Val-de-Travers ; 10. Instruction des ouvriers sur le code civil (proposition de l’U.O. de Genève) ; 11. Assurances fédérales ; 12. Renchérissement de la vie ; 13. Divers.

Il y est constaté la présence de sept unions ouvrières et de quatre syndicats. Ce sont :

Il y est constaté la présence de sept unions ouvrières et de quatre syndicats. Ce sont :

Union ouvrière de La Chaux-de-Fonds 5 représentants
Union ouvrière du Locle 3 représentants
Union ouvrière de Genève 3 représentants
Union ouvrière de Neuchâtel 3 représentants
Union ouvrière de Lausanne 1représentant
Union ouvrière de Broc 1 représentant
Union ouvrière de Bienne 1 représentant
Syndicat des ébauches, Sonceboz-Corgémont 2 représentants
Syndicat des boîtiers, Travers 1 représentant
Syndicat des cigariers, Yverdon-Grandson 1 représentant
Syndicat des mécaniciens, La Chaux-de-Fonds 1 représentant
Plus deux représentants de la F.I.O.H 2 représentants
Total : 24 représentants

toutes les unions ouvrières et syndicats qui admettaient les principes du mouvement syndical centraliste, la Confédération romande du travail, si elle fit du bon travail, fit par contre peu de bruit. Son activité constitue néanmoins aussi un épisode du mouvement ouvrier en Suisse romande. Force est donc d’en parler.

Elle a été constituée sur l’initiative du Bureau central des monteurs de boîtes or, alors que le mouvement anarcho-syndicaliste avait déjà du plomb dans l’aile.

Depuis 1905 le mouvement ouvrier était fortement divisé en Suisse romande. Les débuts de cette nouvelle organisation ne pouvaient être que difficiles. Les unions ouvrières et les syndicats isolés des localités des bords du Léman et autres centres des cantons de Vaud, Valais et Fribourg étaient encore, en 1910, inféodés au mouvement anarcho-syndicaliste. Les autres unions ouvrières, notamment celles du Jura neuchâtelois et bernois, restaient à l’écart et n’avaient guère de relations entre elles. Certains syndicats, qui se rattachaient aux unions ouvrières de La Chaux-de-Fonds, du Locle et de Bienne, adhéraient en même temps à la « Fédération des Unions ouvrières de la Suisse romande. »

D’autres syndicats isolés ne participaient pas au mouvement anarcho-syndicaliste, mais (grâce à la campagne de dénigrement et de calomnie contre les fédérations et les militants centralistes, entretenue avec soin dans La Voix du Peuple) restaient en dehors des fédérations auxquelles ils auraient pu et dû se rattacher. Nous avions à cette époque, en Suisse romande, la plus belle mosaïque syndicale que l’on put rêver.

Pour tenter de mettre fin à cette situation, une première assemblée fut convoquée au milieu de septembre 1910, à Yverdon, à l’Hôtel du Port.

Sur 57 organisations qui y furent invitées treize seulement s’y firent représenter par 39 délégués. Parmi ceux-ci se trouvaient Achille Gros-pierre, Emile Ryser, Achille Graber, Auguste Huggler et Henri Viret. Comme président de séance fonctionna Léonard Daum, président de l’Union ouvrière de La Chaux-de-Fonds.

Après un exposé de la situation et une discussion nourrie, au cours de laquelle quelques délégués anarcho-syndicalistes firent opposition, il fut décidé, par vingt voix contre douze et sept abstentions, de constituer une nouvelle organisation qui admettrait les principes centralistes, pour contrebalancer l’influence néfaste des gens de La Voix du Peuple. Comme en 1905 à Lausanne, c’est de nouveau l’Union ouvrière de La Chaux-de-Fonds qui fut chargée de lélaboration d’un projet de statuts.

Le premier congrès, ou assemblée constitutive, eut lieu à Neuchâtel, au café du Monument, sous la présidence du collègue Edmond Breguet, des horlogers de La Chaux-de-Fonds, le dimanche 5 février 1911. Léonard Daum, qui relevait de maladie, fut appelé à la vice-présidence et Paul Beynon fonctionna comme secrétaire.

Comme vérificateurs des comptes fonctionnèrent : Grospierre, du Locle ; Fivaz, de Genève et Devenoges, de Grandson.

Le rapport de gestion du Comité directeur donna lieu à un long et intéressant débat, traitant surtout de la difficulté qu’il y avait d’obtenir les adhésions ou de constituer des Unions ouvrières. Un délégué de l’Union ouvrière de Neuchâtel déclare que les trois délégués présents ne pourront qu’encourager cette Union à entrer dans la C.R.T., car ils ont fait des expériences déplorables avec les unions ouvrières libertaires dépendant de La Voix du Peuple. Un délégué de Broc annonce qu’en neuf mois de travail une union ouvrière se rattachant à la C.R.T., avec 500 membres a été créée dans cette localité et que fort probablement 200 nouveaux membres pourront encore être gagnés.

Le rapport de caisse accuse un solde de 81 fr. 75 et la Commission de vérification recommande aux délégués l’adoption des comptes avec remerciements au caissier pour son travail.

Après une discussion approfondie il est décidé que le prochain congrès se tiendra à Yverdon.

Bien que la Chaux-de-Fonds ait refusé une nouvelle élection comme section directrice, elle se soumet finalement au désir des délégués et accepte le mandat encore pour une nouvelle année.

La cotisation est maintenue à 5 centimes, par membre et par année.

Puis après avoir liquidé différentes questions relatives à la situation au Val-de-Travers, Achille Graber fit un exposé sur la question des assurances, et la résolution suivante fut adoptée :

« Le congrès de la C.R.T. du 21 janvier 1912, à Neuchâtel, représentant plus de 8,000 membres, considérant que la loi sur les assurances projetées est plus favorable aux intérêts des ouvriers que les lois actuellement en vigueur, regrettant pourtant qu’elle n’ait pas tenu un compte plus grand des revendications ouvrières sans se laisser prendre au mirage des réformes des gouvernements bourgeois décide de recommander aux ouvriers l’acceptation de la loi. »

il s’agissait ici de la loi fédérale sur l’assurance maladie et accidents, qui fut acceptée en votation populaire le 5 février 1912, par 285,027 oui, contre 235,825 non, soit à 49,202 voix de majorité.

La congrès décida ensuite d’envoyer aux sections une circulaire concernant le renchérissement de la vie. Puis après un exposé de Henri Viret sur la situation à la verrerie de Monthey et à la fabrique de tabac Burrus, à Boncourt, il fut décidé d’agir d’accord avec l’Union des Coopératives de consommation à Bâle et la Fédération des ouvriers de l’Alimentation, pour tenter d’arriver à une entente à l’amiable dans ces deux entreprises.

Rendant compte de ce congrès dans la Solidarité Horlogère du 10 février 1912, notre camarade E.-P. Graber, qui en était le rédacteur à l’époque, écrivait :

« Cette rencontre, les discussions qui suivirent les intéressants rapports qui furent présentés, non seulement ont permis à ces délégués de passer une belle et bonne journée syndicale, mais encore laissèrent le meilleur espoir sur l’avenir de cette organisation.

Sans esbroufe, elle poursuit son travail d’organisation et on peut constater avec plaisir qu’elle a pu, grâce à l’activité de nombreux camarades, remonter le flot de la désorganisation due aux terribles méridionaux de l’action violente.

Elle vota une résolution en faveur de la loi sur les assurances, et nous la félicitons d’avoir compris le réel avantage qu’elles apporteront à la classe ouvrière organisée.

La meilleure preuve du travail de réorganisation qui s’accomplit, c’est le rapport de la Section de Genève. Le terrain semblait particulièrement difficile, contaminé qu’il était par les théories des non-cotisants. L’expérience dessille les yeux et nos camarades de Genève comprennent enfin à quelle impuissance les condamnait l’organisation sans souffle et sans force qu’on leur avait prêchée.

Toute la région du Léman, après les quelques dures années d’épreuves que leur fit supporter la Voix du Peuple, se ressaisit peu à peu et revient à l’organisation syndicale telle que nous la concevons dans le Jura. »

A cette époque, l’application du boycott, arme redoutable et moins coûteuse que la grève, surtout dans le commerce et l’industrie alimentaire, jouait un grand rôle. La première entreprise qui en fit l’expérience fut la maison Vautier et Cie., fabrique de cigares et cigarettes, à Grandson et Yverdon. Après une longue résistance, qui lui occaionna des pertes considérables, elle dut s’incliner et signer une convention avec la fédération des ouvriers de l’alimentation.

La Tribune de Genève, qui avait jeté sur le pavé des pères de familles à son service depuis 20 et 25 ans, parce qu’ils réclamaient, comme typographes syndiqués, l’application du tarif en vigueur sur la place, fut boycottée à son tour à partir de 1910. Ici l’application de ce moyen de combat eut un effet moins immédiat, du fait que quantité de gens qui ne lisaient que ce journal et ne pouvaient s’en passer, n’étaient pas ou que difficilement atteints par la propagande ouvrière. Néanmoins, ce boycott, qui dura très longtemps, causa un préjudice assez considérable à ce journal. Seule la déclaration de guerre au mois d’août 1914 y mit virtuellement fin.

Puis ce fut le tour de la fabrique de cigarettes Poullet, à Genève. Celle-ci ne résista pas longtemps et accepta toutes les revendications présentées par le personnel syndiqué. Le boycott fut levé au début de 1912.

La maison F.-J. Burrus, manufacture de tabacs et cigarettes, à Boncourt, Jura bernois, empêchant son personnel de s’organiser, le boycott de ses produits fut décrété après le deuxième congrès de la C. R. T., alors qu’une dernière tentative de régler l’affaire à l’amiable eut échoué. Quelques mois plus tard, une convention ayant été signée entre la maison et la fédération des ouvriers de l’alimentation, le boycott put être levé.

En vertu de cette convention, la Fédération des ouvriers de l’alimentation était reconnue par la maison. Le syndicat obligatoire était introduit. La section de Boncourt de la F. O. A. avait le droit d’afficher ses convocations d’assemblées, de distribuer les journaux et d’encaisser les cotisations dans la fabrique, pendant les pauses ou après les heures de travail. Entière liberté était laissée de chômer le 1er mai. La durée du travail, qui était encore de 10 h.1/2 avant le boycott, fut réduite à 10 heures et à 9 heures le samedi. Les salaires furent augmentés et les minima prévus variaient de 2 francs à 5 fr. 50 par jour, selon l’âge et le travail exécuté. En cas de ralentissement dans la production, la durée du travail devait être réduite afin d’éviter des renvois. Cette convention, qui apportait de notables améliorations à plus de cent personnes, fut conclue pour une durée de trois ans et entra en vigueur au mois de mai 1912. Le résultat obtenu, sans grands frais pour la fédération des ouvriers de l’alimentation, était donc des plus réjouissants.

Plus tard, au début de 1914, ce fut aussi le tour à la maison Ormont, fabrique de cigares, à Vevey, qui refusait d’entrer en pourparlers avec la fédération des ouvriers de l’alimentation. Elle commença par monter sur ss grands chevaux, menaça de faire des procès, etc. Elle résista très longtemps, car elle avait les « reins solides ». Finalement, elle aussi dut céder et signer une convention.

Un troisième congrès de la « Confédération romande du travail » eut lieu à l’hôtel du Port, à Yverdon, le dimanche 2 mars 1913, sous la présidence du collègue Edouard Huguenin, président du comité directeur.

Comme principaux points à l’ordre du jour se trouvaient : Rapport du Comité directeur ; Rapport de caisse ; Fixation de la cotisation 1913/14 ; 1er mai ; Propagande et conférence et expulsions.

Sept unions ouvrières : La Chaux-de-Fonds, Le Locle, Genève, Lausanne, Neuchâtel, St-Imier et Yverdon étaient représentées par dix-neuf délégués. Manquaient les Unions ouivrières de Bienne et de Bulle. Comme syndicats isolés n’était représenté que celui des maçons et manœuvres de Vevey, cependant que le syndicat des horlogers de La Chaux-de-Fonds et celui des boîtiers de Travers manquaient au rendez-vous. Etaient également représentées : La Fédération des ouvriers de l’industrie horlogère et l’Union suisse des fédérations syndicales.

  1. En outre des membres du comité directeur, nous trouvons Achille Graber, délégué de la F. O. I. H. ; Auguste Huggler, délégué du l’Union suisse des fédérations syndicales ; Achille Grospierre et Doerflinger, Le Locle ; Jean Sigg, Auguste Galséran et Georges Hofmann, de Genève ; Charles Schürch, Gagnebin, Bauer et Sunier, La Chaux-de-Fonds ; Henri Viret, Lausanne ; Vizade, St-Imier ; Perrin, Neuchâtel ; Philippin, Vevey et Fornerod, Yverdon. L’Union ouvrière de Montreux, qui n’était pas représentée à ce congrès, fut admise dans la C. R. T. sur la proposition du Comité directeur. On envisageait à ce moment la création d’une Union ouvrière centraliste, à Vevey.

Les vérificateurs des comptes, nommés au congrès, furent les collègues Fornerod, Vizade et Hofmann.

Il résulte du rapport du Comité directeur, que certaines unions ouvrières, n’annoncaient pas le nombre exact de leurs membres, ce qui veut dire qu’elles ne payaient pas les cotisations d’après leurs effectifs réels. Comme à côté de cela la cotisation n’était que de 5 centimes par membre et par année, l’état de caisse ne devait guère être brillant. Il n’y est pas fait la moindre allusion dans le rapport, cependant la commission de vérification engage le comité directeur à obtenir de meilleurs résultats financiers. Aussi, Auguste Huggler engage-t-il la C. R. T. à demander une subvention de 200 francs à l’Union suisse des fédérations syndicales.

Les Chaux-de-Fonniers ayant décliné l’offre d’assumer plus longtemps les charges de comité directeur et Le Locle invoquant certaines causes majeures pour ne pas accepter la mèche, Genève est proposée et finalement elle accepta.

Concernant le 1er mai, on demandait que toutes les usines et tous les chantiers soient fermés ce jour. Une proposition fut faite, mais repoussée, de reporter la manifestation sur le premier dimance de mai. Plusieurs propositions furent présentées, ayant pour but de faire comprendre à la classe ouvrière la solennité et l’importance de cette journée, pour trouver un plus grand nombre d’orateurs et faciliter la tâche de ces derniers. Charles Schürch voulait que l’on occupe les chômeurs dès le matin, en organisant de grandes manifestations. – C’est ce qui se fait aujourd’hui, dans les grands centres du moins. – La manifestation proprement dite a lieu le matin et l’après-midi est voué à la propagande pour les sociètés sportives ouvrières, qui donnent des productions les plus variées. A l’époque ces dernières n’existaient pas encore, abstraction faite des sections de chants et de gymnastique du Grutli, mais qui comme telles ne participaient pas aux manifestations, en Suisse romande du moins.

Malgrè la situation financière précaire, il ne fut sans doute fait aucune proposition d’augmenter la cotisation, car le rapport est absolument muet à ce sujet. Elle resta donc à 5 centimes par membre et par année.

Auguste Huggler fit un exposé sur la propagande à faire et les conférences à organiser. Il résuma son discours en une série de propositions qui furent adoptées par le congrès :

  1. Organisation de conférences sur les conditions de travail et d’existence des ouvriers, ainsi que sur des questions intéressant particulièrement la localité en cause.
  2. S’efforcer d’introduire de la méthode dans la propagande. Etablir un plan de propagande et répartir la besogne selon les capacités des militants.
  3. Etablir un tableau statistique, destiné à être publié, sur le nombre des conférences, les dates, les sujets, les orateurs, le nombre des participants.
  4. Organisaiton de tournées de conférences avec projections lumineuses, sur le travail dans les mines et usines métallurgiques, sur la vie des travailleurs, le problème du logement, etc.
  5. Organisation de cours pour militants en établissant des programmes pouvant servir de guides.

Une proposition du syndicat des maçons et manœuvres de Vevey, demandant que la C. R. T. intervînt lors d’expulsions d’ouvriers étrangers fut longuement discutée. En conclusion il fut décidé que la C. R. T. s’efforcerait par tous les moyens de lutter contre les expulsions arbitraires.

Au divers, il fut donné connaissance d’une demande de la Siciété de la Maison du Peuple de La Chaux-de-Fonds tendant à ce que la C.R.T. contribue à l’écoulement des 100,000 billets de loterie mis en circulation.

Puis fut discutée la situation du personnel de la fabrique de chocolat Suchard, dont une petite partie seulement était syndiquée, tandis qu’au Locle le personnel de la maison Klaus l’était au complet. Il fut décidé que, d’accord avec l’Union ouvrière de Neuchâtel, la Fédération des ouvriers de l’alimentation tenterait d’organiser le personnel de la maison Suchard.

En considération de l’acceptation prochaine par les Chambres fédérales de la nouvelle loi fédérale sur le travail dans les fabriques, un congrès extraordinaire de la C. R. T. fut convoqué, de nouveau à Yverdon, le dimanche 28 septembre 1913.

Il fut ouvert par Georges Hofmann, de Genève, président du Comité directeur, qui, relevant de maladie, ne put accepter la présidence. L’auteur de ces lignes fut nommé président du congrès, cependant que Auguste Galséran, membre du Comité directeur, était nommé secrétaire.

L’ordre du jour prévoyait :

  1. Appel.
  2. Nouvelle loi sur les fabriques.
  3. Statistique ouvrière en Suisse romande.
  4. Union des Universités ouvrières.
  5. Ecoles de militants.
  6. Divers.

47 délégués représentaient les différentes organisations adhérentes à la C. R. T. A part ceux-ci participaient au congrès les camarades Jean Sigg, de Genève, et Charles Naine, Lausanne, conseillers nationaux, ainsi que Auguste Huggler, secrétaire de l’U. S. F. S., qui rapportait sur la nouvelle loi sur le travail dans les fabriques, et Achille Graber, secrétaire de la F. O. I. H.

A la demande du rapporteur le point 2 de l’ordre du jour fut porté au point 5. Après que le président de séance eut exposé l’utilité des statistiques et que le camarade Galséran eut expliqué le point de vue qui guidait le Comité directeur pour l’établissement de statistiques ouvrières en Suisse romande, le congrès se déclara d’accord.

Une longue discussion eut lieu au sujet de l’Union des Universités ouvrières de la Suisse romande. Le but de cette création était de mieux pouvoir profiter de la présence d’orateurs qualifiés, en organisant avec eux des tournées de conférences et en répartissant les frais entre toutes les organisations. Henri Viret, Lausanne, n’était pas d’accord avec cette centralisation. Il intervint en faveur du statu quo et de l’autonomie des organisations dans ce domaine. Cependant, au vote, la proposition du Comité directeur fut adoptée par 28 voix, les autres délégués s’étant abstenus.

Les camarades Galséran et Hofmann rapportèrent sur la question des écoles de militants. Ils firent surtout ressortir le nombre insuffisant de camarades qui se vouent à la propagande et la nécessité d’instruire ceux qui se dévouent à cette tâche. Vu qu’une école proprement dite ne pouvait être créée, faute de moyens financiers, il fut décidé que des cours pour militants seraient organisés dans les différents centres avec le concours de camarades capables, comme cela avait déjà été décidé au précédent congrès.

Puis Auguste Huggler fit un exposé très détaillé sur la nouvelle loi fédérale sur le travail dans les fabriques. Il concluait, vu que la loi était loin de donner satisfaction à la classe ouvrière, de faire usage du référendum pour la faire échouer [2].

Au cours de la discussion qui suivit l’exposé du rapporteur, Charles Naine ne partagea pas entièrement les conclusions de l’orateur. Il estimait que sans être un modèle du genre, le nouveau projet de la loi constituait tout de même un progrès à l’égard de l’ancien état de chose. Il avait mieux accepter ce compromis que de rejeter la loi par voie référendaire. Mais ses paroles ne purent convaincre personne, puisque la résolution ci-dessous fut adoptée à l’unanimité :

« Le congrès extraordinaire de la Confédération romande du Travail, représentant 25,000 ouvriers organisés, tenu à Yverdon, le 28 septembre 1913, constate, après une vive discussion, que le projet de loi sur les fabriques ne contient pas des dispositions protectrices en rapport avec les nécessités actuelles et ne répond pas aux aspirations légitimes de la classe ouvrière suisse.

Il demande aux représentants ouvriers aux Chambres fédérales d’intervenir énergiquement pour améliorer le projet.

La Confédération romande du Travail se réserve de prendre position d’accord avec les organisations politiques et syndicales suisses. »

D’une série de rapports des unions ouvrières ou de syndicats adhérents à la C. R. T., il résulte que le mouvement syndical avait fait de réjouissants progrès en Suisse romande depuis la constitution de la nouvelle organisation centraliste.

C’est ainsi que le Syndicat mixte des ouvriers en tabacs et pâtes alimentaires à Yverdon et Grandson comptait à fin 1913 320 membres.

L’Union ouvrière de Neuchâtel avait vu ses effectifs augmenter au cours de cette même année de 207 à 284 membres. L’Union ouvrière de Montreux, par contre, par suite de la crise dans le bâtiment, voit le nombre de ses membres tomber de 223 à 208. Du rapport de l’union ouvrière de Broc, il ne ressort aucune indication sur l’effectif des membres, qui dépassait cependant les 500. Nous apprenons néanmoins que 39 nouvelles adhésions furent faites au cours de cette année. Quant à l’Union ouvrière de Genève, elle comptait à fin 1913 au total 33 syndicats adhérents avec 2,054 membres.

Très important et très intéressant fut le 4ème congrès, qui eut lieu le 18 avril 1914, à l’hôtel de l’Ours, à Lausanne.

Sept unions ouvrières : La Chaux-de-Fonds, Le Locle, Genève, Neuchâtel, Yverdon-Grandson, Broc et Montreux, y étaient représentées par 19 délégués ; cinq syndicats : Section mixte de l’alimentation, Vevey ; Chocolatiers, Montreux ; Ferblantiers, Montreux ; Maçons et manœuvres, Vevey ; Maçons et manœuvres, Montreux. Il ne manquait comme organisations adhérentes que l’Union ouvrière de Bienne, l’Union ouvrière de St-Imier et le Syndicat des ébauches de Sonceboz-Corgémont. Par contre, quatre fédérations syndicales avaient envoyé des délégués. C’étaient : la Fédération des ouvriers du bois ; la Fédération des ouvriers du cuir ; la Fédération de l’alimentation et la Fédération des typographes de la Suisse romande. L’Union suisse des fédérations syndicales était également représentée.

Le bureau du congrès fut constitué par les camarades Georges Hofmann, président, et Alexandre Thoral, secrétaire du Comité directeur.

L’ordre du jour était très chargé. Il ne comprenait pas moins de 17 points les principaux étaient : Rapport du Comité directeur ; Rapport de statistiques ouvrières ; Rapport de l’Union des Universités ouvrières ; Cours de militants ; Loi sur les fabriques ; Loi sur les arts et métiers ; Propagande en Suisse romande ; Conflit Ormond ; Conflit des horlogers à Granges. Avec les autres points de moindre importance il n’en fallait pas davantage pour remplir la journée.

Comme vérificateurs des comptes fonctionnèrent les collègues Edouard Antenen, Le Locle, Georges Clerc, Yverdon et Ali Perrin, Neuchâtel.

Du rapport du Comité directeur il résultait que celui-ci avait déployé une très grande activité depuis e dernier congrès. Avec le concours des camarades Schnetzler et Viret, il avait entrepris la réorganisation d’une Union ouvrière à Vevey. Il s’était également mis en rapport avec l’Union ouvrière de Neuchâtel pour l’organisation du personnel de la maison Suchard, à Serrières, sans cependant obtenir de résultat. Il avait été pris à contribution pour régler un conflit à la fabrique de biscuits Pernod, à Genève. Un nouveau tarif, améliorant les salaires du personnel, avait été obtenu. Il avait d’autre part été très occupé avec les statistiques ouvrières décidées au précédent congrès. Des cours pour militants avaient été créés à Genève. Au début de 1914 le Comité directeur avait été saisi par le camarade Viret du conflit avec la maison Ormond. Un autre conflit dans une fabrique de cigarettes avait été réglé en faveur des ouvriers sur la simple menace du boycott. Le Comité directeur s’occupa aussi de la grève des ébénistes à Genève.

Concernant les statistiques ouvrières, il était constaté que 105 formulaires avaient été retournés au Comité directeur, dont 17 du Jura bernois, 4 du canton de Fribourg, 31 du canton de Genève, 29 du canton de Neuchâtel et 24 du canton de Vaud. Toutefois, il n’avait pas été répondu dans chaque cas à toutes les questions posées. D’autre part, certains chiffres, tels 1,800 ouvriers sur cuir à Neuchâtel, n’étaient pas sérieux et beaucoup d’organisations n’avaient pas pris la peine de retourner les formulaires. Néanmoins, le Comité directeur estimait que pour un premier essai, il y avait lieu d’être satisfait du résultat obtenu. A l’issue de la discussion, le congrès adopta la résolution suivante :

« Le congrès de la C. R. T., réuni à Lausanne, le 19 avril 1914, après avoir pris connaissance des statistiques ouvrières établies par le Comité directeur, engage toutes les organisations ouvrières de la Suisse romande à collaborer plus activement dans l’avenir par des réponses détaillées et précises à l’établissement de semblables statistiques. »

L’Union des Universités ouvrières n’avait pas encore pu entrer en fonction à ce moment. Sa raison d’être était, nous l’avons déjà dit, de mettre à la disposition des Universités ouvrières, là où il en existait, autrement à la disposition des Unions ouvrières, des orateurs étrangers de marque, en répartissant les frais de la tournée de conférences entre toutes les organisations qui en bénéficiaient. En attendant, certaines unions ouvrières : La Chaux-de-Fonds, Le Locle, etc., l’Université ouvrière de Genève, avaient organisé de leur propre chef diverses conférences, au cours de l’hiver précédent, comme cela se faisait chaque année.

Concernant les cours de militants dont il avait été question à Yverdon au dernier congrès, il semble que seule l’Union ouvrière de Genève avait organisé quelque chose. Jean Sigg donna un cours sur la législation protectrice du travail. L’auteur de ces lignes un autre cours sur les tâches à remplir dans un syndicat.

Ces deux rapports furent adoptés après de courtes discussions.

Le trésorier de la C. R. T., camarade Robert Reymond, des bijoutiers de Genève, donna ici connaissance de l’état de la caisse. Avec aux recettes 462 fr. 40 et aux dépenses 453 fr. 35, il restait un excédent de 9 fr. 05. Aussi ne faut-il pas s’étonner si une proposition d’augmenter la cotisation fut présentée par le trésorier. Celle-ci fut soumise aux organisations adhérentes pour ratification, mais nous n’avons trouvé nulle part qu’elle eût été ratifiée.

Le Jurassiens n’en voulant toujours pas, Genève fut confirmée comme section directrice. Il fut en outre décidé que le prochain congrès se tiendrait à Neuchâtel, afin de permettre une bonne fréquentation de la part du Jura bernois.

La « Loi fédérale sur le travail dans les fabriques » était encore à l’ordre du jour. Le camarade Auguste Huggler, secrétaire de l’U. S. S., était de nouveau rapporteur. Ayant fait un exposé détaillé de la question au dernier congrès, il ne s’étendit plus sur le projet de loi. Il se borna à faire observer que la situation s’était aggravée et que les Chambres avaient apporté des restrictions au projet, sans tenir compte des vœux de la classe ouvrière organisée. Tout en reconnaissant les imperfections, l’orateur recommanda au congrès de ne pas rejeter la nouvelle loi, du moment que l’on ne pouvait rien attendre de mieux pour l’instant et, que d’autre part, elle apportait tout de même des améliorations à quantité d’ouvriers. Le danger était, que si la loi était repoussée – et les patrons nous auraient aidés vigoureusement – nous risquions de rester encore longtemps sous celle de 1877.

Après discussion, les conclusions du rapporteur furent acceptées et le point de vue défendu par Ch. Naine au précédent congrès finit par triompher. Puis Emile Nicolet, Genève, secrétaire de la Fédération des ouvriers de l’alimentation, parla de la loi sur les arts et métiers. A ce moment on estimait à 320,000 le nombre des ouvriers et ouvrières, employés et employées, qui se trouvaient en Suisse sans protection légale, en dépit du Code des obligations. Les entrepreneurs en bâtiment – déjà alors à la tête de la réaction – étaient opposés à la loi, bien que celle-ci eût été présentée par l’Union suisse des arts et métiers, laquelle englobe la grande majorité des petits patrons du pays. C’étaient avant tout les ouvriers et ouvrières à domicile et le personnel des hôtels et restaurants qui auraient bénéficié des dispositions d’une loi semblable, si celle-ci avait été acceptée [3].

En conclusion, Emile Nicolet proposa au congrès d’appuyer la résolution déjà adoptée au dernier congrès de la Fédération ouvrière suisse.

C’était une longue résolution en trois parties : 1. Concernant les travaux préparatoires. 2. La forme de la loi, et 3. Le contenu matériel de la loi. Nous ne pouvons pas, à cause de sa longueur, la reproduire ici [4].

Une adjonction, présentée par Emile Nicolet, invitait les députations ouvrières cantonales et communales à présenter et à faire aboutir dans leurs conseils respectifs des projets de loi sur la matière. Le congrès adopta l’une et l’autre.

Le congrès s’occupa ensuite de la propagande en Suisse romande.

C’est Auguste Galséran, alors président de l’Union ouvrière de Genève, qui rapporta sur la question. Il traça un tabeau très exact de la situation en disant :

« Nous voyons encore, en Suisse romande, quantité de petits syndicats locaux qui, en temps normal, ne comprennent qu’un petit nombre de membres. Lorsqu’un mouvement va avoir lieu, il n’est pas rare de voir ces syndicats passer de 10 à 500 ou 600 membres ; le mouvement terminé, ces membres lâchent l’organisation, ce qui a pour conséquence que lorsque des avantages ont été acquis, les patrons, voyant l’organisaton désunie, se moquent de leurs engagements et tout est à recommencer.

En général, les syndicats locaux font des mouvements et grèves spontanés, sans tenir compte des facteurs économiques et industriels qui, très souvent, ne sont pas propices pour faire un mouvement à ce moment. Fatalement alors, le mouvement est voué d’avance à l’insuccès, d’autant plus que la lutte entre un syndicat local ouvrier d’une part et une fédération patronale nationale d’autre part, est trop disproportionnée. Depuis plusieurs années, une quantité de ces mouvements ont échoué, ce qui gêne les sections des fédérations dans leurs revendications et leur porte en même temps un certain préjudice moral pour le recrutement de leurs membres. »

Le rapporteur constatait en outre, que certaines fédérations négligeaient la Suisse romande où il y avait pourtant beaucoup de membres à recruter ; que deux fédérations seulement : alimentation et métallurgie, avaient chacune un secrétariat dans cette partie du pays et que l’augmentation des sections et des membres avait largement compensé les sacrifices pécuniaires faits par ces organisations. (Il y a lieu d’ajouter que la Fédération des ouvriers du bois entretenait également un secrétariat en Suisse romande. C’était, à l’époque, le camarade Marc Pauli, aujourd’hui caissier central de la F. O. B. B., qui en était le titulaire.)
Au nom du Comité directeur, Galséran proposait en principe la création d’un secrétariat de la C. R. T. subventionné par les fédérations désirant faire en Suisse romande une propagande constante et étendue.

Ce secrétariat devait aussi travailler d’accord avec les Unions ouvrières adhérentes, pour rendre la propagande plus forte et plus productive.

Enfin, l’orateur soumettait au congrès la résolution suivante :

« Il est demandé au congrès de donner mandat au Comité directeur de pressentir les fédérations syndicales n’ayant pas de secrétariats en Suisse romande de subventionner un secrétaire qui serait chargé, d’accord avec les unions ouvrières, d’organiser en Suisse romande la propagande en faveur de ces fédérations. »

Cette résolution fut acceptée et le comité directeur chargé de faire le nécessaire-

La guerre, qui éclata quelques mois plus tard, empêcha qu’une suite fût donnée à ce projet. Pendant et après la guerre différentes fédérations syndicales créèrent elles-mêmes des secrétariats en Suisse romande. De même les Unions ouvrières de La Chaux-de-Fonds et de Genève constituèrent pour leurs porpres besoins des secrétariats permanents. À l’heure actuelle les ouvriers syndiqués de la Suisse romande ne peuvent plus se plaindre d’être négligés par leurs fédérations, puisque même l’Union syndicale suisse a un secrétaire qui s’occupe tout particulièrement de ce coin du pays.

Après un bref rapport de Viret sur l’état des pourparlers avec la maison Ormond, fabrique de cigares, à Vevey, le congrès adoptait la résolution ci-dessous :

« Constatant que la maison Ormond a refusé à ses ouvrières affiliées à la Fédération suisse des ouvriers de l’alimentation les garanties qu’elles demandent pour le libre exercice du droit d’association et pour leurs conditions de travail ;

Que toutes les propositions d’arrangement faites, soit par l’Union suisse des fédérations syndicales, soit par l’Union suisse des coopératives de consommation, se sont heurtées à une fin de non recevoir de la maison Ormond ;

Le congrès de la C. R. T. décide d’appuyer le boycott des cigares Ormond. Il invite tous les travailleurs organisés dans les syndicats, dans les groupements coopératifs et politiques à agir afin que d’ores et déjà les ouvriers donnent la préférence aux produits des fabriques de cigares, cigarettes et tabacs qui ont consenti à réglementer les conditions de travail dans leurs établissements par la conclusion d’une convention avec l’organisation centrale syndicale.

Puis, après un autre rapport de Huggler sur le conflit dans l’industrie horlogère du Leberberg (Soleure), les délégués adoptèrent encore la résolution suivante :

« Le congrès de la C. R. T., après avoir entendu un exposé sur le conflit de Granges, adresse aux camarades lock-outés l’expression de sa vive sympathie et son admiration pour la belle discipline qu’ils obsevent. Il les assurent de l’appui de toutes les organisations ouvrières de la Suisse romande. »

Pour terminer, le Congrès reprend la question des expulsions, qui avait déjà été soulevée au congrès d’Yverdon l’année précédente. Des expulsions d’ouvriers italiens s’étaient produites lors d’un conflit avec l’entreprise construisant le tunnel Moutier-Granges et même un secrétaire de la Fédération du bâtiment, nommé Faggi, avait été expulsé du pays. L’Union syndicale suisse et le Parti socialiste suisse étudiant les voies et moyens d’empêcher de nouvelles expulsions, le congrès décida, sur proposition du camarade Huggler, d’attendre les décisions prises par ces deux organisations, tout en engageant les Unions ouvrières à discuter de la question dans leur sein.

Ce congrès fut incontestablement le plus important et le plus vivant de tous les congrès de la C. R. T.

La « Confédération romande du Travail » se trouvait donc en plein développement et faisait preuve d’une activité du meilleur aloi, quand au début d’août 1914 éclata la grande tuerie qui tint le monde en haleine pendant plus de quatre ans.

Comme l’activité de toutes les organisations ouvrières, celle de la C. R. T. se trouva fortement réduite au début de la conflagration mondiale, ensuite du départ de nombreux camarades étrangers et de la mobilisation des militants du pays. D’autre part, ses moyens financiers étant excessivement restreints, elle se vit dans l’obligation de limiter son activité exclusivement à la place de Genève qui, ainsi que nous l’avons vu, se trouvait depuis plusieurs années déjà, être le siège du Comité directeur.

Il ne fut pas possible en 1915 de convoquer un congrès. Celui-ci, conformément à la décision prise à Lausanne en avril 1914, devait avoir lieu à Neuchâtel. Il eut finalement lieu le dimanche 20 août 1916, à l’hôtel du Port, à Yverdon.

L’auteur de ces lignes, devenu président du Comité directeur, assuma la présidence de ce congrès. Entre autres points à l’ordre du jour se trouvait un rapport du Comité directeur, le rapport du trésorier, la nomination de la section directrice, ainsi que deux rapports : Le travail des internés en Suisse, par le camarade M. Zehnder, de Montreux, président du Parti socialiste vaudois, et : Le renchérissement du prix de la vie, par Jean Sigg, de Genève.

Etaient représentées les Unions ouvrières de Bienne, Chaux-de-Fonds, Genève, Le Locle, Montreux et Neuchâtel. Par contre, St-Imier, Sonceboz-Corgémont, Broc et Yverdon n’étaient pas représentés, pas plus que l’Union syndicale de Lausanne, dont le délégué n’avait pas jugé utile de se déplacer.

Le rapport d’activité pour la période 1914 à 1916, forcément réduit, ainsi que le rapport de caisse très mince également, furent adoptés sans grande discussion et Genève fut à nouveau confirmée comme section directrice pour une nouvelle année.

Le travail des internés (soldats français, anglais, allemands, autrichiens, etc.) préoccupait depuis longtemps l’opinion publique, car il se pratiquait naturellement au détriment de la main-d’œuvre du pays.

Une correspondance avait du reste été échangée à ce sujet entre le comité directeur et le Département politique fédéral. Le camarade M. Zehnder, de Montreux, où se trouvaient des internés en grand nombre, était bien qualifié pour traiter cette question. Il était déjà intervenu à ce sujet dans le domaine communal et ses interventions lui avaient valu les foudres du tribunal militaire et son congédiement, après dix ans de bons et loyaux services, de la société romande d’électricité. Le rapporteur fit un exposé très détaillé, très complet et très objectif de la question.

Il montra comment les internés, qui ne voulaient pas courir le risque de retourner au front, étaient obligés d’accepter, souvent à des prix dérisoires, le travail qui leur était offert. Les patrons, grands patriotes, étaient seuls à profiter de l’aubaine qui leur permettait de faire pression sur les salaires.

L’exposé du camarade Zehnder fut suivi d’une intéressante discussion, puis la résolution suivante fut adoptée à l’unanimité :

« Le congrès extraordinaire de la C. R. T., tenu à Yverdon, le 20 août 1916, après un exposé très détaillé de la question par un délégué de la Section de Montreux et après discussion :

Considérant :

Que le travail des internés en Suisse est rendu obligatoire à ces derniers par une ordonnance du médecin en chef de l’armée, menaçant de punir sévérement ceux qui s’y refuseraient ;

Que le travail obligatoire des internés en Suisse est une menace pour la main-d’œuvre indigène et exerce une pression sur les salaires, attendu que le patronat occupe de préférence les internés aux ouvriers du pays ;

Décide :

De demander aux autorités fédérales que toute garantie soit donnée aux organisations ouvrières que les internés occupés dans les différentes industries soient rétribués conformément aux tarifs et usages en vigueur ;

De demander que des commissions régionales soient nommées dans le plus bref délai et munies des compétences les plus étendues afin de pouvoir contrôler les salaires versés aux internés travaillant soit dans l’industrie, soit dans l’agriculture ; de demander que le nombre des commissions régionales soit augmenté dans la mesure qu’un contrôle effectif soit rendu possible.

Se réserve, dans le cas contraire, de faire unsage de tous les moyens à la disposition des organisations ouvrières pour faire respecter la main-d’œuvre indigène ainsi que les tarifs et usages en vigueur. »

Ensuite Jean Sigg rapporta sur la question du renchérissement du prix de la vie. En un exposé très objectif et très limpide, en prenant comme base et en développant les thèses adoptées quelques jours auparavant à Zurich par le P. S. S., l’orateur dénonça les causes du renchérissement : exportations en masses, accaparement et spéculation, et en démontra les effets, tout en indiquant les remèdes à apporter à la situation.

Une nouvelle discussion s’engagea, à l’issue de laquelle le congrès adopta la résolution suivante :

« Après un exposé très objectif du camarade Jean Sigg, de Genève, et après discussion, le congrès,

considérant :

que le renchérissement du prix de la vie est dû surtout à la spéculation, à l’exportation exagérée des produits indigènes et à l’accaparement des réserves disponibles dans le pays par des agents étrangers,

décide :

de demander que les autorités mettent une fois pour toutes un frein à la spéculation, à l’exportation exagérée pratiquée surtout par les grands agrariens, et à l’accaparement en grand des produits et matières de première nécessité ; d’engager les organisations adhérentes à s’opposer par tous les moyens possibles, manifestations, assembllées publiques, intervention directe sur les marchés, etc., etc., à la spéculation et au renchérissement du prix de la vie ;

à travailler toujours plus énergiquement à l’organisation syndicale et politique de la classe ouvrière afin que celle-ci devienne apte à contrecarrer les manœuvres de la classe bourgeoise et agrarienne. »

Puis, sur la proposition de l’Union ouvrière de La Chaux-de-Fonds, le congrès décida encore d’inviter toutes les unions ouvrières adhérentes à discuter de l’attitude de la classe ouvrière en cas de guerre, en préconisant la grève générale et le refus de marcher, dans le cas où, contre toute attente, notre pays devait aussi être poussé dans l’abîme.

Pour comprendre le sens de cette proposition il faut se rappeler que nous venions d’avoir la fameuse affaire, dite « des colonels », et que l’on ne savait pas si l’un ou l’autre de nos hauts galonnés n’allait pas un jour ou l’autre provoquer l’intervention d’une des parties bélligerantes et entraîner le pays dans la guerre.

Avant de se séparer, le congrès adressa encore un télégramme de sympathie à Jules Humbert-Droz, détenu à la prison de Neuchâtel pour ses convictions antimilitaristes.

Les deux résolutions ci-dessus furent adressées à qui de droit, c’est-à-dire au Conseil fédéral, mais elles restèrent sans effet. Le gouvernement suisse laissait les gros agrariens et les grands spéculateurs faire fortune en privant le peuplle du nécessaire. Il fallut finalement la grève générale de novembre 1918, qui fut une explosion de colère populaire, pour faire comprendre à tous ces aigrefins que leur jeu n’avait que trop duré.

Depuis 1914 le boycott était appliqué sur les produits de la maison Ormond, fabrique de cigares, à Vevey. Les organisations de la Suisse allemande : Unions ouvrières et fédérations syndicales, avaient pris en mains et appuyaient vigoureusement le boycott des produits de cette maison intransigeante. Seuls, les anarcho-syndicalistes jouèrent dans ce conflit un rôle peu reluisant. Pour se venger sans doute de leur écartement dans la liquidation du boycott Vautier, et par esprit de contrariété aussi, ils constituèrent à Vevey, avec une partie du personnel de la maison Ormond mécontent du boycott – éléments craignant que cette mesure les prive de leur gagne-pain – un syndicat autonome qui s’efforçait de lutter contre le boycott. On eut alors le triste spectacle d’un prétendu syndicat, dirigé par les anarcho-syndicalistes, qui défendait les intérêts de la maison la plus réactionnaire de l’industrie du tabac.

Mais la maison Ormond elle-même fit le nécessaire pour accentuer le boycott. Elle attaqua devant les tribunaux l’Union ouvrière de Zurich qui avait déclanché le boycott, après que toutes les tentatives faites pour arriver sans conflit à un accord eussent échoué. La maison Ormond en fut pour ses frais, car le tribunal admit que le boycott n’était pas illicite.

Finalement, après la guerre, en 1919, la fabrique Ormond ayant subi de lourdes pertes ensuite du boycott, se décida à signer une convention qui réglait les conditions de travail de son personnel et reconnaissait la fédération des ouvriers de l’alimentation.

Malheureusement, la maison Ormond s’était trop fortement enferrée dans ce boycott et ne se releva jamais du coup qui lui fut porté. Plus tard elle ferma ses portes et la fabrique elle-même a été transformée en logements ouvriers.

Un dernier congrès eut lieu, toujours à Yverdon, le dimanche 24 mars 1918. Etaient représentées les Unions ouvrières de Bienne, Chaux-de-Fonds, Genève, Lausanne, Montreux, Neuchâtel et Vevey, ainsi que les organisations syndicales de Morges et d’Yverdon.

Les principales questions à l’ordre du jour étaient : Le sevice civil, le renchérissement, le bureau de Genève du Secrétariat ouvrier suisse, et la propagande en suisse romande.

Concernant les deux premières questions : Service civil et renchérissement, la résolution suivante fut votée, après un exposé sur chaque sujet et une discussion approfondie :

« Les délégués des U.O. adhérentes à la Confédération romande du Travail, réunis en congrès à Yverdon, le 24 mars 1918, après avoir discuté de la question de la mobilisation des déserteurs et réfractaires étrangers, du service civil en Suisse et de la question du renchérissement du prix de la vie ;

protestent énergiquement contre la mobilisation d’ouvriers étrangers honnêtes dont les convictions sont opposées à la guerre ;

décident d’appuyer par tous les moyens le Comité d’action d’Olten dans les mesures prises par celui-ci contre l’introduction du service civil, destiné seulement à fournir une main-d’œuvre bon marché aux grands agrariens qui pressurent actuellement d’une façon honteuse les consommateurs ;

s’élèvent énergiquement contre la mansuétude des autorités cantonales et fédérales envers ces mêmes agrariens et les exportateurs qui, pour ne grande part, sont les auteurs du renchérissement dont souffre actuellement en particulier la classe ouvrière ;

considèrent que seule une organisation toujours plus forte et plus étroite permettra à la classe ouvrière de faire prévaloir ses droits à la vie et invitent les ouvriers et ouvrières à rallier leurs organisations respectives pour la défense de leurs intérêts. »

D’autre part, le congrès chargea le Comité directeur d’intervenir auprès du Secrétariat ouvrier suisse à Zurich, pour obtenir que le bureau de Genève du dit secrétariat, vacant depuis la démission de Jean Sigg, soit repourvu d’un adjoint, attendu que celui-ci pouvait rendre de réels services à la classe laborieuse. [5].

L’Union ouvrière de Genève fut encore confirmée pour une nouvelle année comme section directrice de la Confédération romande du Travail.

Quant à la propagande syndicale en Suisse romande, elle donna de nouveau lieu à un long et intéressant débat, en conclusion duquel il fut décidé de continuer l’action engagée dans ce domaine et qui avait donné jusqu’ici de bons résultats.

D’une statistique entreprise par le Secrétariat de l’Union syndicale suisse en septembre 1918, il résultait que les différentes fédérations centralistes comptaient à fin 1917 un total de 31,241 membres dans six cantons et 51 localités de la Suisse romande. Jura bernois : 12,610 ; Fribourg : 770 ; Genève : 3,753 ; Vaud : 4,394 ; Valais : 505 et Neuchâtel : 9,199.

L’Union syndicale suisse se rendant compte des efforts faits en Suisse romande et de la nécessité de mieux coordonner ces efforts, décida, lors de son congrès des 7,8 et 9 septembre 1917, tenu à Berne, d’appeler un camarade de langue française au Secrétariat de l’U.S.S. Celui-ci devait avoir pour tâche de s’occuper tout particulièrement du mouvement syndical en Suisse romande. Le camarade Charles Schürch, alors à La Chaux-de-Fonds, appelé à ce poste, entra en fonction le 5 mai 1918.

A ce même congrès l’U.S.S. procéda à une révision de ses statuts, révision tendant surtout à déterminer l’action des unions ouvrières et des cartels syndicaux cantonaux et à leur faire une place plus large que jusqu’alors au sein de l’U.S.S. De ce fait, toutes les unions ouvrières dont les statuts étaient reconnus par l’Union syndicale suisse, et pour autant que leur activité était conforme aux dispositions des statuts et du programme de cette organisation, se trouvaient incorporées dans celle-ci. Elles ont depuis lors voix au chapitre et sont représentées tant au comité, qu’à la Commission syndicale et aux congrès de l’U.S.S.

Dès lors la « Confédération romande du Travail » devenait un organisme superflu. Il fallait songer à sa dissolution.

Pour ce qui concerne les unions ouvrières de la Suisse romande, deux conférences furent convoquées par le secrétariat de l’Union syndicale suisse. L’une à Bienne pour les délégués du Jura bernois et du canton de Neuchâtel ; l’autre à Lausanne, pour les délégués des cantons de Fribourg, Genève, Valais et Vaud. Ces deux assemblées ratifièrent les décisions, concernant les unions ouvrières et cartels syndicaux, prises par le Congrès syndical suisse des 7, 8 et 9 septembre 1917.

webmaster : C’est également à ce congrès là, que l’USS accepta de faire de sorte qu’il y ait toujours parmi ses secrétaires syndicaux un qui soit de langue française de façon à préserver et entretenir les meilleurs liens avec la Romandie.

Le Comité directeur de la C.R.T. ne jugea donc pas utile de convoquer un nouveau congrès pour discuter une mesure envisagée depuis longtemps et admise par tous. Il remit purement et simplement les archives de la Confédération romande du Travail à l’Union syndicale suisse et par cela le rôle de la première se trouva terminé.

Les relations entre l’Union syndicale et le Parti socialiste.

Celles-ci furent fixées en principe lors du congrès de St-Gall, les 23 et 24 septembre 1911, après un rapport du camarade Eugster et une discussion nourrie. La conclusion du débat fut l’adoption d’une résolution qui, en appuyant sur l’entière indépendance des deux organisations, déclarait que leurs représentants devaient se soutenir mutuellement dans la propagande. Dans les mouvements importants qui, d’après leur nature, semblaient propres à présenter aussi un intérêt essentiel pour les membres de l’autre groupe, en tout cas, chaque fois que des mouvements étaient prévus, qui pouvaient avoir des suites fâcheuses pour les membres des deux groupes, et qui exigeraient leur participation, la direction de l’organisation déclenchant le mouvement devait aviser la direction de l’autre organisation et une entente serait cherchée en vue d’une action commune ou d’une aide réciproque. Si l’une des deux organisations entreprend un mouvement malgré que l’autre ne se soit pas déclarée d’accord, cette dernière ne peut contrecarrer la première sans raisons péremptoires.

Les relations avec l’organisation de jeunesse socialiste.

Elles occupèrent à plusieurs reprises les congrès des syndicats suisses.

Au Congrès de Zurich, en septembre 1913, Greulich fit un rapport sur ce sujet où les relations étaient exactement délimitées dans les thèses spéciales, et qui affirmait avant tout que l’organisation de jeunesse socialiste se déclare liée par les décisions du Parti socialiste et de l’Union syndicale. C’est à cette condition que le Parti et l’Union syndicale verseraient cahque année à la Centrale de l’Organisation de jeunesse une subvention dont l’importance serait désignée par les organes compétents du Parti et de l’Union syndicale. La jeunesse ne s’est pas toujours tenue à ce programme.

[1Les statuts et le programme de la « Confédération romande du Travail » ont paru dans le numéro du 15 février 1911 de La Sentinelle, à La Chaux-de-Fonds.

[2Rappelons que la loi de 1914 prévoyait, à côté des amendes, comme durée normale du travail la journée de dix heures, depuis longtemps battue en brèche, et neuf heures le samedi et la veille des jours fériés. Elle prévoyait, en outre, pour une durée de sept ans, que là où le travail cesserait le samedi au plus tard à une heure de l’après-midi, la durée du travail pouvait être de dix heures et demie pour les autres jours. D’autre part, le samedi après midi libre ne devait être accordé aux ouvrières que cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi.

Ensuite de la guerre mondiale cette loi n’est jamais entrée en application. Lorsque la guerre fut terminée les événements vinrent donner un coup de pouce à la durée du travail et, bon gré, mal gré, il fallut que le patronat admît la semaine de 48 heures dans la loi qui nous régit actuellement.

[3Entre-temps, il y eut, il est vrai, la guerre. Ce projet de loi ne fut pas présenté aux Chambres fédérales. Par contre, un projet de loi portant réglementation des conditions de travail fut soumis à l’approbation des Chambres fédérales le 11 avril 1919. Il vint en votation populaire le 21 mars 1920 et fut repoussé par 256,401 voix contre 254,455, soit à une majorité de 1,946 voix seulement. Il est certain que si les premiers intéressés avaient participé à la votation, la loi en question eût passé haut la main. Depuis lors, plus de dix ans se sont écoulés et plus rien n’a été entrepris dans ce domaine.

[4Ceux que la question intéresse trouveront cette résolution, publiée et commentée, dans le N°4 de l’année 1914 de La Revue syndicale suisse.

[5La commission syndicale suisse s’occupa de cette question dans sa séance du 24 septembre 1918, à Berne. Le point de vue des délégués romands (maintien du bureau du Secrétariat ouvrier suisse à Genève) triompha. Mais comme déjà à cette époque l’on envisageait la suppression du Secrétariat ouvrier suisse lui-même, il ne fut jamais donné suite à cette proposition. Depuis lors, l’Union ouvrière de Genève a créé un secrétariat permanent pour la place, qui rend sans doute de plus grands services que le bureau du Secrétariat ouvrier suisse n’aurait pu rendre.