Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

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Loi sur l’asile et loi sur les étrangers :

Pourquoi le mouvement syndical combat avec force ces lois

jeudi 31 août 2006 par Claude REYMOND

Les lois sur l’asile (LAsi) et sur les étrangers (LEtr) ont été adoptées simultanément en décembre 2005 par les autorités fédérales. Mais, contrairement aux parlementaires, de très nombreux citoyen-ne-s suisses ne sont plus d’accord de plier l’échine sous les coups de boutoirs de la droite populiste et xénophobe.

Ces citoyen-ne-s l’ont fait savoir clairement en s’opposant à ces deux lois par voie référendaire. Une large coalition d’organisations sociales, humanitaires, religieuses, syndicales et politiques s’est constituée pour l’occasion. Elle fait campagne pour le rejet de ces deux lois inacceptables en appelant à voter 2 x NON le 24 septembre 2006.

Ce jour-là, nous aurons à choisir entre deux modèles de société :

- l’un, configuré par ces deux lois, empreint de rejet de l’altérité et de ségrégation, créant des zones de non-droit, d’exclusion et de précarité, le tout cautionné officiellement par le pouvoir d’État ;
- l’autre, orienté vers une société fondée sur la justice sociale, pour plus de solidarité, d’équité et d’égalité.

En toile de fond,

le postulat « Suisses – immigré-e-s – réfugié-e-s, uni-e-s et solidaires » !

La LEtr et la LAsi sont des lois dangereuses, répressives et discriminatoires ; elles mettent en danger l’unité des travailleuses et travailleurs et visent à les monter les uns contre les autres, elles les divisent selon leur origine, leur couleur de peau et leur statut. Elles représentent de véritables instruments d’exclusion. Voilà pourquoi le mouvement syndical se mobilise avec détermination pour les combattre.

Le SIT en première ligne

De par son caractère profondément interprofessionnel, son histoire et son ancrage au sein du monde du travail, parmi les travailleurs-euses des secteurs précaires – donc à forte proportion d’immigré-e-s – voilà des décennies que le SIT se trouve mêlé à toutes les batailles touchant à l’immigration, au droit d’asile, à la libre circulation des travailleurs et aux droits humains en général :

- opposition à toutes les initiatives anti-réfugiés et anti-étrangers qui jalonnent l’histoire récente de notre pays ;

- lutte permanente contre le statut de saisonniers et pour le droit au regroupement familial ;

- actions collectives pour l’obtention de permis annuel pour tous les ex-saisonniers ;

- dès les années 80, défense des travailleurs en butte à la répression dans leur pays, en particulier ceux de l’ex-Yougoslavie ;

- engagements en faveur des droits politiques des immigré-e-s aux niveaux cantonal et communal ;

- lutte contre toutes les dégradations qu’a subi le droit d’asile par les multiples initiatives de l’UDC mais aussi par ordonnances fédérales, Berne, hélas, se rapprochant toujours plus des positions xénophobes dans ces domaines…

Le SIT a laissé de nombreuses traces écrites de tous ces combats : articles dans quasiment chaque numéro de son journal mensuel SIT-info ; dossiers spécifiques et tracts produits à la veille de chaque votation, publication de plusieurs brochures.

Les brochures les plus récentes sont :

juin 2000 : "Pour une politique d’intégration active" ;

avril 2002 : "Contre la précarité : régularisons les sans-papiers" ;

septembre 2004 : "Régularisons les Sans-papiers et le secteur de l’économie domestique".

(Ces brochures sont disponibles sur le site internet du SIT ou au secrétariat).

II eut été souhaitable de résumer ci-après nos positions de fond, car cela fait plus de six ans que les projets de la LEtr et de la LAsi sont connus et que nous les critiquons avec force depuis le début… mais l’urgence nous oblige à nous centrer sur la campagne pour la votation du 24 septembre 2006.

Malgré les remarques et les critiques de nombreux milieux, par exemple sur les problématiques des sans-papiers, de l’intégration et de la dignité des requérants d’asile et des immigrés extra-européens particulièrement vilipendées, les deux lois ont été adoptées sans coup férir ! Nous mettons ici l’accent sur les aspects qui concernent et touchent tout particulièrement les travailleurs et les travailleuses.

Le venin de la xénophobie gangrène nos sociétés

Année après année, mois après mois, la plupart des pays économiquement développés adoptent des politiques toujours plus restrictives en matière d’immigration et d’asile. Avec la LEtr et la LAsi, la Suisse est en tête de file !

Un durcissement jamais égalé alors même que le capitalisme à l’échelle planétaire est à l’heure de la mondialisation !

Les conséquences sont connues : appauvrissement grandissant de populations entières obligeant quotidiennement des milliers de femmes et d’hommes à quitter leurs familles, leurs amis et leurs pays pour des raisons économiques. De la même façon, l’existence de régimes politiques dictatoriaux et répressifs, parfaitement intégrés au système d’échanges néo-libéraux, poussent également femmes et hommes à demander asile dans nos pays où les droits sociaux, politiques et humains sont mieux garantis.
Ainsi, si nos sociétés font tout pour que circulent librement les flux financiers, elles s’opposent farouchement à une véritable libre circulation des personnes ; les pays occidentaux ferment leurs frontières aux migrants venus du Sud.

Ambiguïté du mouvement syndical

La criminalisation des immigrés et des requérants d’asile au travers de la LEtr et de la LAsi démontre que notre pays n’est bien évidemment pas épargné par cette tendance lourde. Si les syndicats ont combattu toutes les initiatives que la droite populiste et extrême a régulièrement lancé depuis bientôt 40 ans, ils doivent constater aujourd’hui que les « projets xénophobes » ne sont plus le fait des seuls descendants de Schwarzenbach ou d’un quelconque groupuscule extrémiste.

Ce sont bien le Conseil fédéral et la majorité des députés aux Chambres fédérales qui aujourd’hui mettent en œuvre ces machines à exclusion et à répression, au mépris des conventions internationales existantes et des droits humains fondamentaux.

Mais si les mêmes syndicats sont unanimes à condamner ces deux lois, leur histoire - même récente - montre leur attitude souvent ambiguë à l’égard de l’immigration. Durant les années de prospérité qui ont suivi la seconde guerre mondiale, le mouvement syndical a parfois joué avec le feu du chauvinisme national en brandissant le spectre de la surpopulation étrangère et du dumping salarial. L’immigration a trop souvent été l’objet d’un marchandage avec le patronat, marchandage destiné à sauvegarder et améliorer les conditions salariales et de travail des travailleurs-euses Suisses ou immigré-e-s déjà présent-e-s en Suisse.

À mots plus ou moins couverts, il n’est hélas pas rare d’entendre dans « nos milieux » des critiques à l’égard du trop grand nombre d’immigrés présents chez nous, des immigrés mal intégrés rendus responsables du sentiment d’insécurité grandissant au sein de la population ; des immigrés ou réfugiés trop nombreux à être assistés, des requérants d’asile assimilés à des dealers potentiels ou stigmatisés comme faux réfugiés ; des immigrés et des frontaliers qui prennent le travail aux Suisses… et donc rendus responsables du chômage !

Nous en payons donc le prix aujourd’hui lorsque des collègues sur les lieux de travail tombent dans le piège de ces divisions !

La LEtr, une loi contre l’immigration économique,
une véritable machine à produire des sans-papiers

La Berne fédérale poursuit, tout en la ciblant sur les pays extra-européens, sa politique de contingentement… ce que Sarkozy appelle pour la France « une politique d’immigration choisie » !

Seules quelques milliers de personnes extrêmement qualifiées obtiendront des permis B ou temporaires. Cette politique masque mal des intentions clairement discriminatoires, car ce sont des personnes différentes (trop ?) de nous, celles à la couleur de peau sombre ou basanée, les « affamés et les damnés » de la terre, que nos gouvernants ne veulent plus voir et tolérer !
Mais Berne ferme du même coup les yeux sur la réalité économique et les besoins en main d’œuvre de nombreux secteurs d’activités, ceux qui, de façon générale, sont les moins développés technologiquement et fort demandeurs d’emplois peu ou pas qualifiés. Lesquels emplois, souvent précaires ou mal rémunérés, sont boudés par les travailleurs-euses suisses ou immigré-e-s stabilisé-e-s.

Selon de nombreuses recherches et les études menées tant par l’ONU que par l’OCDE et l’UE, la Suisse ne pourra jamais résoudre ses besoins économiques et démographiques par la seule « libre immigration » européenne : outre l’importante main d’œuvre non qualifiée nécessaire aux secteurs de l’hôtellerie-restauration, de l’économie domestique, de l’agriculture et de la construction, c’est du personnel semi et hautement qualifié qu’il s’agira de rechercher, immanquablement, au-delà des frontières de l’UE.

Libre circulation pour les uns, précarité et illégalité pour les autres

Ferme défenseur de la libre circulation avec les pays de l’UE, le SIT ne saurait accepter les arguments de ceux qui, également favorables à cette libre circulation européenne, ont voté les accords bilatéraux avec l’UE pour, du même coup, mieux justifier la fermeture des frontières pour le reste du monde !

Au-delà de son irréalisme et de sa naïveté en matière économique et de politique de l’emploi, cette position masque mal une intention plus hypocrite et perverse. Celle consistant à tolérer de fait les sans-papiers travaillant et vivant en Suisse, pour la plupart d’entre eux, depuis des années –tout en la niant... pour mieux la livrer à toutes les exploitations et exclusions. N’est-ce pas là un des principes fondateurs du néo-libéralisme que de construire une société à deux vitesses, les prédateurs et profiteurs sans scrupules n’ayant pleinement le sens d’exister que dans la mesure où, parallèlement, le nombre des exclus et des précaires augmente !

La LEtr officialise une sorte d’apartheid avec des zones de non droit pour des dizaines de milliers de personnes condamnées à se taire, à accepter leur dure condition de vie sans se révolter au risque de se voir expulsées ! On se croirait revenu en plein 19e siècle !
La LEtr anéantit ainsi tout espoir de régularisation de tous ces sans-papiers travaillant depuis des années en Suisse.

LEtr et LAsi : les dégâts collatéraux provoqués

Parmi les graves conséquences découlant de l’application de la LEtr et la LAsi, certaines sont passées sous silence ou relativisées, peut-être parce que leurs effets ne se feront sentir qu’à retardement… comme une bombe ! Et là, c’est la majorité de la population, suisse comme étrangère, qui en payera la facture.

- Non seulement ces lois s’en prennent également à des citoyens et citoyennes suisses : en cas de soupçon des autorités concernant leur mariage avec un-e ressortissant-e étranger-ère, les services concernés pourront fouiner dans leur vie privée ;

- Non seulement elles s’en prennent également aux personnes ou aux organisations (qui pourront être infiltrées par la police !) qui protégeraient « illégalement » des requérants déboutés ou des sans-papiers ;

- Non seulement elles s’attaquent aux libertés et droits fondamentaux, et en cela elles touchent également les citoyen-ne-s suisses ;

- Non seulement elles élargissent les cercles de la précarité et participent ainsi à une politique généralisée de dumping social et de maintien de bas salaires, bien au-delà des seuls immigrés et requérants concernés…

… Mais en plus, du fait que toujours plus nombreux seront les travailleurs-euses condamné-e-s à occuper un emploi de façon clandestine et illégale, ce sont toutes les assurances sociales mais également l’État social qui vont être affaiblis dans leur capacité de redistribution collective.

Pour le seul secteur de l‘économie domestique, les pertes concernant les assurances et la fiscalité vont se chiffrer annuellement par dizaines de millions, du fait de l’absence de versement des cotisations à l’AVS/AI et aux assurances professionnelles (part salarié et part employeur), idem en ce qui concerne les contributions publiques !... Pour le seul canton de Genève, on évalue que les pertes annuelles (déjà effectives en partie aujourd’hui) se monteront à plus de 40 millions de francs annuellement, et, pour l’ensemble de la Suisse, plus de 400 millions annuels ! Pas difficile d’imaginer que ces trous financiers provoqueront de graves conséquences, d’une part sur les sans-papiers, au bénéfice d’aucune assurance sociale, d’autre part sur l’ensemble de la population !

Comme quoi le choix de la part de Berne de maintenir des travailleurs dans la précarité et la clandestinité participe d’une politique des caisses vides avec, à la clé, des prestations sociales en diminution programmée ! Une absence de droit pour les un-e-s aujourd’hui signifie plus de précarité pour tous et toutes demain !



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