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Mali

imposer des alternatives

jeudi 21 décembre 2006 par Claude REYMOND

Le Courrier http://www.lecourrier.ch/

20.12.2006 23:56

« La faiblesse de l’Etat nous laisse une place pour imposer des alternatives »

PROPOS RECUEILLIS PAR BENITO PEREZ, Date : Mardi, 19 décembre

Sujet Solidarité

MALI - Activiste social et leader du parti de gauche SADI, Oumar Mariko se présentera à la
présidentielle d’avril 2007. Sans rêves de victoire mais porté par le réveil des mouvements sociaux
maliens. Rencontre avec un trublion multicarte.

Au Mali, tous le monde connaît Oumar Mariko. Dans ce pays nomade, pas une lutte, pas une révolte n’éclate
aux quatre coins du pays sans que ce sympathique géant ne réponde présent. Défense du secteur public, droit
à la santé, grève des mineurs, migrants expulsés, paysans spoliés... l’infatigable Dr Mariko est toujours de la
partie. Et avec lui le réseau des radios Kayira qu’il dirige et dont les sept émetteurs relaient quotidiennement
la vie d’un mouvement social plus remuant qu’il n’y paraît. Animateur du Forum social mondial de Bamako en
janvier dernier, cet ancien leader estudiantin – qui participa activement à la chute de Moussa Traoré en 1991
– trouve encore le temps de s’investir en politique. Au côté du cinéaste Cheick Oumar Sissoko, il a fondé en
1996 le parti Solidarité africaine (SADI), qu’il mena à la présidentielle de 2002.

Cette année-là, malgré son refus de rejoindre l’une des deux grandes alliances dominantes, le SADI obtint 6
élus sur les 147 que compte l’Assemblée nationale. Un succès d’estime qui valut à M. Sissoko de rejoindre le
gouvernement « d’union nationale » du président Amadou Toumani Touré (alias ATT). « Je n’y étais
personnellement pas favorable, mais il faut admettre que cela nous a permis de sortir de l’ostracisme »,
commente M. Mariko.

Pas question, pour autant, d’avaler les couleuvres gouvernementales. Malgré le discours teinté de nationalisme
d’ATT, le Mali ne parvient guère à s’émanciper du FMI et de la Banque mondiale. Une tutelle qui ne pourra
être levée qu’avec l’ouverture du champ du politique aux mouvements populaires, estime M. Mariko, qui
dénonce le caractère « parasitaire » et corrompu de la bourgeoisie malienne.
Aux quatorze partis qui viennent de fusionner pour assurer la réélection d’ATT en 2007 et la pérennité du
« consensus national », le futur candidat du SADI oppose la nécessité de « choix idéologiques clairs ». « En
Afrique, on veut toujours l’union à tout prix, mais c’est oublier que tous les chats ne sont pas gris »,
image-t-il.

De passage à Genève auprès de la branche locale de l’ONG Médecins de l’espoir qu’il a fondée au Mali,
l’éclectique militant évoque pour Le Courrier les processus sociopolitiques qui agitent son pays. Rencontre à
quatre mois d’une élection qu’à défaut de remporter, M. Mariko veut transformer en tribune.

Le Mali s’apprête à entrer dans une année électorale. Comment se présentent les scrutins
présidentiel d’avril et législatif de juillet 2007 ?

Mal ! Le président a déjà torpillé le processus. Pour se présenter à l’élection présidentielle, on nous impose
désormais une caution de 10 millions de francs CFA (25 000 francs suisses). Et sous prétexte d’éviter des
candidatures farfelues, nous devons obtenir le soutien de cinq élus locaux ou nationaux provenant de chacune
des huit provinces et de Bamako. Du coup, les partis au pouvoir peuvent bloquer des candidatures en faisant
circuler des consignes à leurs élus locaux. Cet obstacle est aussi financier : de nombreux parrainages seront
vendus au plus offrant. Pour un élu, c’est un moyen de rentabiliser un poste qui lui a souvent coûté cher en
termes d’achats de voix ! Une autre mesure est significative : les députés ont autorisé le financement des
partis depuis l’étranger. Ce qui profitera à ceux qui s’engagent à brader les entreprises nationales ou à
protéger les intérêts des multinationales...
Les partis dominants savent que le bilan du président est mauvais et que le mécontentement grandit, alors ils
font en sorte que les jeux soient faits avant le vote. Les gens le sentent et le risque est grand que le taux de
participation réel soit encore plus bas que d’habitude... Beaucoup de citoyens ont déjà vendu leur fiche jaune
reçue au moment du recensement qui permet d’obtenir des papiers d’identité et donc de voter...

N’y a-t-il pas des éléments positifs à tirer du premier mandat d’ATT ?

Je relèverais la question sécuritaire. Nous avons fait six ans d’opposition sous la présidence d’Alpha Oumar
Konaré (au pouvoir jusqu’en 2002, ndlr). Ça n’avait pas été un cadeau ! Arrestations, contraintes à l’exil et
même assassinats... Nous étions considérés comme le diable ! Alors, même si nous avons subi la répression
sous ATT, ça n’a pas été aussi dur.

Le Mali est un des pays les plus pauvres de la planète. Vers quel type de développement peut-il se
diriger ? Regardez-vous vers l’Amérique latine ?

J’ai beaucoup de sympathie pour ce qui se fait au Venezuela et à Cuba, mais je préfère regarder vers le Mali.
La priorité dans notre pays consiste à réhabiliter la politique et donc les forces populaires. Nous avons au Mali
une bourgeoisie parasitaire, rentière de l’Etat, qui ne crée rien du tout. Nous devons démanteler son pouvoir et
faire émerger des classes populaires, notamment paysannes. Cela signifie d’abord développer une agriculture
de subsistance pour remplacer les importations de riz et de millet. Cela passe aussi par le développement de
l’artisanat. Pas au sens décoratif ou folklorique du terme, mais un artisanat qui contribue au développement,
qui crée des instruments de production, tels que des charrues, des charrettes, etc. Ensuite – et c’est capital –
il faut revoir toutes les privatisations qui se sont faites sur le dos du peuple. Je parle des chemins de fer, du
coton, etc. Il faut revoir le cahier des charges de l’exploitation minière. Aujourd’hui, cette industrie ne
rapporte rien au Mali, ni investissements ni revenus. Nous avons énormément d’or, mais pas une seule
raffinerie qui puisse apporter de la valeur ajoutée ! Or sans revenus, on ne peut investir ni dans le secteur
social et sanitaire, qui sont nos priorités, ni dans le secteur industriel dont nous avons besoin pour développer
le Mali.

Le coton fut un des piliers économiques du Mali mais il souffre de la concurrence étasunienne. A-t-il
encore un avenir ?

J’entend dire que les Etats-Unis vont baisser leurs subventions en 2013 ! Mais d’ici là nous ne saurons plus en
produire ! La Compagnie malienne de développement textile (CMDT) n’est plus qu’une structure administrative
en voie de privatisation pour 2007 sous la pression du FMI. Tous les organismes qui articulaient le secteur –
achat, vente, fabrication, distribution des intrants et des pesticides, etc. – ont été démantelés. Aujourd’hui le
chaos s’installe, les employés de la CMDT sont licenciés et les paysans livrés à eux-mêmes pour transporter
le coton, acheter des intrants, etc.

Quelles sont les objectifs de cette restructuration ?

Casser la petite et moyenne paysannerie pour livrer le secteur à des agro-industriels. La même stratégie est
à l’oeuvre dans le secteur du riz, où l’on saisit les terres des paysans pour des peccadilles. Vient par-dessus
la loi d’orientation agricole, qui donne des droits nouveaux aux paysans... à condition qu’ils puissent investir
pour la travailler. Sinon, ils ont l’obligation de vendre leur terre... On est en train de liquider le paysan pour en
faire un ouvrier agricole. C’est la « latino-américanisation » de l’Afrique prophétisée hier par Cheikh Anta Diop1.

Est-ce un processus irréversible ?

Non. Nous sommes déjà parvenus à faire reculer le gouvernement, comme dans le cas des riziculteurs qui
perdaient leurs terres parce qu’ils n’avaient pas payé la redevance de l’eau à l’Office du Niger2. L’Etat a fini
par admettre que les paysans ne pouvaient payer la somme exigée, car les canaux n’étaient pas entretenus et
que leur productivité en souffrait. Nous avons mis en évidence des détournements de fonds au sein de
l’Office. Selon nous, ils atteignent 10 milliards de francs CFA (25 millions de francs) ! Le pouvoir a été obligé
de reculer : il n’avait plus de prétexte ! Et il commençait à craindre notre impact auprès des paysans... Le
président a donc baissé la redevance de l’eau à tous les paysans et la justice commence à procéder aux
arrestations des corrompus. Paradoxalement, la faiblesse de l’Etat nous laisse une place pour imposer des
alternatives. C’est ce qui nourrit nos espoirs.

Le Mali connaît un regain de mobilisations sociales. Est-ce l’émergence d’un mouvement organisé
ou une série de mécontentement locaux ?

Je pense que s’installe à nouveau l’idée que la lutte peut payer ! Regardez le combat que nous avons mené à
l’Office du Niger. Jamais les paysans maliens n’ont été aussi organisés ! I

Le Courrier http://www.lecourrier.ch/print.php?sid=42729

1Intellectuel sénégalais décédé en 1986.

2Lire Le Courrier du 28 janvier 2006.

BPZ


« Tôt ou tard, il faudra renationaliser »

L’an dernier, la multinationale Bouygues a dû quitter le pays et l’Etat a repris le contrôle d’Electricité
du Mali (EdM), la société nationale d’eau et d’électricité1. Cela ouvre-t-il la voie à d’autres
nationalisations ?

C’est la preuve que c’est possible. Aujourd’hui, EdM ne fonctionne pas plus mal qu’avant ! On sait que le
gouvernement français n’est pas très content... c’est bon signe ! Dans cette affaire, nous avons soutenu le
gouvernement. Mais il ne faut pas qu’il s’arrête en chemin. Des investissements doivent être réalisés pour
qu’EdM réponde aux besoins de développement du pays et à ceux des consommateurs... En réalité, le
gouvernement n’avait pas le choix. Bouygues n’a respecté aucun de ses engagements contractuels, en termes
d’investissements ou de prix.
L’Etat devrait agir de même avec Transrail2. Là non plus, la privatisation n’a répondu aux attentes. Les
retards s’accumulent, les accidents se multiplient et le transport de passagers est laissé à l’abandon. Tôt ou
tard, la nationalisation sera incontournable.
L’Etat pourra-t-il financer les investissements nécessaires au développement des services publics ?

Peut-on agir sur la fiscalité ?

Dans un pays où 70% de la population vit avec moins d’un franc suisse par jour, les impôts ne peuvent
répondre à ces défis. Mais ça ne veut pas dire que l’Etat n’a pas de ressources, dont la première est sa
souveraineté ! C’est pour cela que nous insistons sur la révision du cahier des charges de l’exploitation
minière. En second lieu, le Mali doit mettre fin à son pillage par la corruption et récupérer les richesses ainsi
extorquées, notamment lors du bradage des sociétés d’Etat. Enfin, nous devons devenir maîtres de notre
monnaie3. Ce qui nous permettra de récupérer l’argent bloqué par le Trésor français sous prétexte de garantie
de convertibilité. BPZ

Cet article provient de Le Courrier

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