Communauté genevoise d’action syndicale

Organisation faitière regroupant l’ensemble des syndicats de la République et canton de Genève

Rue des Terreaux-du-Temple 6 - 1201 Genève

iban CH69 0900 0000 8541 2318 9

Le Courrier du 1er juin 2006

Les syndicats ne suffisent plus

mardi 6 juin 2006 par Claude REYMOND

LA BOILLAT • Un cours spécial de sociologie basé sur la lutte à Reconvillier conclut
à la nécessité de renforcer les contre-pouvoirs dans les entreprises.

MICHEL SCHWERI
L’Université de Genève a ouvert,
durant quelques heures,
une chaire de métallurgie. A
l’initiative d’un étudiant provenant
du Jura bernois, le département
de sociologie a en
effet invité, lundi, quelques
employés de l’entreprise
Swissmetal de Reconvillier
pour suivre - et animer - un
cours et une table ronde sur la
recomposition industrielle en
Suisse. Conduite par le professeur
adjoint Jean-Michel
Bonvin, cette formule a permis
une riche discussion intégrant
les apports des ouvriers,
des étudiants et des invités.
Ingrate flexibilité
En introduction, le sociologue
a décortiqué le concept
de « responsabilité sociale »
des entreprises. Il en a déterminé
le contenu. Et a surtout
démontré comment l’évolution
de la logique productive
et l’obligation de rentabilité
limitent l’engagement citoyen
des entreprises. Sans
surprise, le professeur a
conclu que ce concept est
« très décevant ».
En effet, selon M. Bonvin,
le paradigme économique
s’est radicalement modifié.
Auparavant, les entreprises
produisaient pour augmenter
l’offre de biens, lesquels trouvaient
ensuite des acheteurs.
Aujourd’hui, au contraire, la
production est conditionnée
par la demande. Les marchandises
sont fabriquées « à
flux tendu » afin de « coller » à
l’état du marché du moment.
D’où la nécessité d’adapter
constamment l’entreprise en
jouant de la flexibilité du
nombre d’employés, de la
durée du temps de travail et
des salaires ainsi qu’en renforçant
la polyvalence.
A l’approche industrielle
s’ajoute désormais une « logique
financière », poursuit le
sociologue, devant satisfaire
des actionnaires de plus en
plus éloignés des travailleurs.
Or, la « déconnexion » entre la
logique productive et la
stratégie financière explique
en grande partie les difficultés
à mener un projet industriel
sur le long terme, selon
le chercheur.
Prendre son destin
en mains
Pour y mettre de l’ordre,
continue M. Bonvin, on
pourrait simplement « faire
confiance à l’entrepreneur »,
lequel aurait, en théorie,
intérêt à choyer son personnel
pour obtenir un bon travail.
Mais cette idée provoque
un gros chahut des
ouvriers de la Boillat : « Y’a
rien de ce que vous dites qui
est juste chez nous. » Et les
travailleurs d’expliquer que
certains licenciés passent
leur délai de congé sans
même disposer d’un poste
de travail, à se tourner les
pouces et en équipe de nuit.
Un autre employé a reçu une
lettre d’avertissement pour
avoir simplement parlé à des
journalistes, révèle une femme.
Tabler dès lors sur la responsabilité
sociale de l’employeur
passe donc fort mal à
leurs yeux.
Un autre moyen de pacifier
la production pourrait
provenir des « actionnaires
éthiques », reprend alors
Jean-Michel Bonvin. Mais cet
actionnariat « socialement
responsable » est très minoritaire,
concède le sociologue,
« son impact est faible et il
construit davantage son image
sur la défense de la nature
que celle des salariés ».
Reste alors une possibilité
de réguler la production par
la mise en place de « contrepouvoirs
 » au sein des entreprises,
enchaîne le professeur.
Ce qui parlait déjà plus
aux ex-grévistes de la Boillat.
Mais à nouveau, « ce genre de
droits des salariés - participation,
consultation, codécision - est limité dans la loi
suisse », reconnaît M. Bonvin.
De nouveaux droits
D’où l’écho positif, chez
les « Boillat », de la pétition
demandant un droit de
préemption des collectivités
publiques sur les actions de
Swissmetal. « Tout ce que fait
la direction est légal, soutient
une épouse de gréviste, nous
devons aussi agir au niveau
politique pour accroître nos
droits. »
Car le syndicat ne suffit
plus, poursuivent, à l’unisson
cette fois, le professeur et la
délégation ouvrière. « Les syndicats
s’occupent de salaires et
de temps de travail, expose
Jean-Michel Bonvin, ils sont
empruntés face à ces nouvelles
questions de gestion
qualitative du personnel. » Plus
carré, un salarié de la Boillat
présente le syndicat « comme
une assurance », même lorsqu’il
débloque son fonds de
grève : « Unia nous avait avertis
qu’il paierait juste un mois de
grève à 130 francs par jour. »
Synthétisant la critique des salariés,
le sociologue exprime
alors leur demande d’un « syndicalisme
offensif » et emporte
ainsi l’adhésion des salariés.
Lesquels sollicitent en retour
« un engagement du monde
académique et sa participation
aux mouvements sociaux
 »... I



Derniers articles